Le transport routier prenant de plus en plus d'importance, la Chambre de commerce du Havre demandait, en 1933, au ministère des Travaux publics d'étudier un pont aux environs du bac du Hode, mis en service l'année précédente et qui connaissait déjà un trafic important. Un premier projet de pont suspendu fut établi en 1934 par le Service central d'études techniques. Le ministère des Travaux publics ayant donné son accord, le directeur des Ports maritimes demanda qu'aucune pile ne soit placée dans le lit de la Seine. C'est alors que le site de Tancarville fut choisi : la présence de la falaise sur la rive droite permettait de raccourcir le viaduc d'accès et l'existence de digues hautes de part et d'autre du fleuve en limitait la largeur à 585 mètres. Mais la guerre éclate avant la fin de la procédure, qui n'est reprise et achevée par la loi du 17 mai 1951.
La Chambre de commerce du Havre lance alors en novembre 1951 un concours international et, le 12 décembre 1953, la Commission du concours décide de retenir le projet de pont suspendu à trois travées. Comme aucun projet de groupement d'entreprises n'était totalement satisfaisant, la Commission décida de retenir les entreprises dont les propositions lui avaient paru les meilleures. Elles étaient douze, toutes françaises, et se regroupèrent en une structure, la SACTAN. L'entreprise Boussiron était parmi les douze, et Nicolas Esquillan fut choisi comme coordinateur techniques des travaux de génie civil.
L'ordre de commencer les travaux fut donné le 15 novembre 1955 avec un délai de 44 mois. Le pont sera finalement achevé avec quinze jours d'avance et ouvert à la circulation le 2 juillet 1959.
C'est un pont suspendu à trois travées, d'une longueur totale de 960 mètres, avec un viaduc d'accès à huit travées sur la rive gauche. Les 2 pylônes, de 123 mètres de hauteur, détinrent le record du monde de hauteur de pylônes de pont suspendu en béton armé.
Sur la rive droite, Esquillan décida de réaliser :
- deux massifs en béton sur lesquels prennent appui l'extrémité du tablier métallique, ainsi que les sellettes
d'inflexion et d'épanouissement des câbles ;
- à l'arrière, deux chambres d'épanouissement des câbles ;
- deux tirants en béton précontraint de 58 mètre dans la roche calcaire. La précontrainte, de 9600 tonnes, est réalisée par 120 câbles de 24 fils de 7 mm de diamètre en acier extra-dur ;
- à leur base, ces deux tirants sont ancrés dans une traverse de butée en béton armé.
Esquillan concluait : « Le choix de l'implantation du pont et de l'utilisation de la falaise comme ancrage a donc apporté une économie considérable sur le coût de l'ouvrage. »
Fondés sur caisson, les pylônes de 123 mètres sur rive droite et 122 mètres sur rive gauche comprennent chacun deux montants qui portent à leur sommet une selle d'appui en acier moulé de 28 tonnes, dans la gorge de laquelle passe un des deux câbles porteurs.
Sur la rive droite, où le sol est de bonne qualité, Esquillan décida de descendre la fondation à 9 mètres de profondeur et de façon indépendante pour chaque montant du pylône.
En revanche, sur la rive gauche, dont le sol est constitué sur plus de 27 mètres par un sable gris très fin, il fut décidé de descendre l'assise à 28 mètres de profondeur sur une couche de sables et de graviers, et Esquillan décida de n'avoir qu'un seul caisson de 34,50 mètre sur 12,30 mètres, dont le fonçage se poursuivit par phases successives de 4 mètres de hauteur pendant l'hiver 1956-1957. Afin de rattraper les retards « indépendants de la volonté des entreprises », Esquillan décida de construire la dalle supérieure de 8,80 mètres d'épaisseur, dans laquelle s'encastrent les montants du pylône, et le pylône lui-même, alors que le fonçage n'était pas terminé.
Les pylônes sont constitués de deux montants de section rectangulaire. Esquillan les a voulus aussi souples que possible, se préoccupant de leur résistance aux effets du vent, aussi bien pendant les différents stades de construction qu'une fois l'ouvrage terminé.
D'après l'ouvrage de Bernard Marrey, Nicolas Esquillan, ingénieur d'entreprise, Paris : éditions Picard, 1992
"Construction du pont de Tancarville. Les pylônes, l'ancrage rivre droite et la dalle des travées suspendues". Non daté
Film 16 mm, couleur, sonore, 17:07 min
© Fonds Société des Entreprises Boussiron. SIAF/Cité de l'architecture & du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle