Le viaduc de La Voulte, qui traverse le Rhône un peu plus de cent kilomètres en aval de Chasse, est le premier grand pont de chemin de fer français en béton précontraint (cinq travées de 56 mètres) et le plus long du monde, 300 mètres, sous voie ferrée normale. Il est aussi le premier ouvrage construit en encorbellement, selon une technique qui avait été amorcée au pont Raymond-Poincaré à Lyon.

En août 1944, un bombardement allié détruisit quatre arches et les piles 3 et 4 du pont primitif construit en 1861 et déjà renforcé par l'entreprise Boussiron en 1923. Dès 1947, la SNCF étudia un plan de reconstruction qui conservait les maçonneries en bon état et dégagea deux passes navigables de 47 mètres sur 7 mètres de hauteur. Peu après, l'administration des Ponts-et-Chaussées demanda que la largeur de la route nationale N 86, passant dans la culée de la rive droite, soit portée de 8 à 11 mètres. Compte tenu de la pénurie d'acier, la seule solution était un pont à cinq arcs supérieurs en béton armé, avec tablier intermédiaire également en béton armé.

Le chantier débuta en 1948 : l'arche rive gauche, non détruite, fut déposée, les piles 1 et 2 furent réparées et les fondations des piles 3 et 4 refaites ou consolidées. Des restrictions de crédit contraignirent à arrêter les travaux qui ne purent être repris qu'en 1952. Mis en adjudication, le projet fut confié à l'entreprise Boussiron, qui proposa en même temps une variante : un pont à béquilles. Cette variante n'était réalisable qu'à condition de précontraindre le béton.
Les calculs préliminaires de la précontrainte furent effectués par Robert Lévi, directeur du Service technique des installations fixes de la SNCF, et « basés sur des hypothèses probabilistes (qui) conduisaient à des sections raisonnables et suffisantes », selon Esquillan. Leurs conditions furent établies en concertation avec les ingénieurs de la SNCF et ceux de l'entreprise Boussiron.
« L'exécution s'est déroulée de la rive droite vers la rive gauche avec répétition de cinq cycles identiques, travée par travée », selon le processus suivant :
- construction des béquilles au moyen d'un
échafaudage vertical et de haubans de retenues des coffrages ;
- construction des travées par voussoirs de 2,75 mètres de longueur mis en place en porte-à-faux symétriquement à partir de chaque pile au moyen d'un coffrage glissant supporté par un point Bailey lancé pile à pile ;
- réglage du portique en arc à trois articulations sous les charges et surcharges permanentes ;
- blocage de l'articulation provisoire par remplissage du joint et mise en tension des câbles ;
- vérification de la tension définitive des câbles de précontraintes dans l'ensemble de l'ouvrage ;
- exécution des ouvrages secondaires sur la N 86 et finitions.

La précontrainte utilisée à La Voulte fut imaginée et mise au point pour répondre aux conditions impératives de la SNCF qui n'avait pas confiance dans le système d'ancrage par frottement du procédé Freyssinet. Le bureau d'études de l'entreprise Boussiron réfléchit donc à un procédé satisfaisant les désirs du maître d'ouvrage, d'autant plus que Jacques Fougerolle avait déjà manifesté le souhait d'échapper à l'obligation de passer par la STUP, exploitant le brevet de Freyssinet, pour toute précontrainte. L'idée nouvelle germa entre Jean François, chef des études, et Nicolas Esquillan : forger à froid un bouton en tête des fils et le bloquer sur une pièce d'ancrage en acier. Ce nouveau procédé prit en France le nom de BBR B, comme Boussiron.
Outre l'attache, cette méthode diffère également du procédé Freyssinet par la mise en tension des câbles : pour réduire les frottements au maximum, les faisceaux de fils sont disposés dans une gaine métallique rigide, mais ondulée à l'extérieur pour renforcer la liaison avec le béton.

Le viaduc de La Voulte coûta très cher à l'entreprise Boussiron (le marché fut passé pour 135 millions de francs alors que le pont en coûta exactement le double, 270 millions), mais certains procédés d'exécution purent être repris au pont Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan.
D'après l'ouvrage de Bernard Marrey, Nicolas Esquillan, ingénieur d'entreprise, Paris : éditions Picard, 1992
"Reconstruction du viaduc de La Voulte sur le Rhône". Non daté
Film 16 mm, NB, sonorisé, 29:06 min
© SNCF, © Fonds Société des Entreprises Boussiron. SIAF/Cité de l'architecture & du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle