MAISON DU PEUPLE, CLICHY
par Leïla Beloucif
Polyvalence fonctionnelle et matérielle
Le défi des architectes et ingénieurs était double : à la fois logistique pour rendre possible une économie sur les matériaux, le temps et sur la main d'œuvre, mais aussi technique, afin de créer un espace multiple dans un espace unique, répondant à un maximum de fonctions et d'usages (économique, social, culturel) dans un minimum d'espace, par la prise en compte du rythme des activités journalières. Et c'est à ce propos que le bâtiment, entièrement transformable, témoigne de nombreux exploits techniques qui permettent une multiplicité d'usages concomitants ou alternés et font de la Maison du peuple un exemple précurseur de synergie architecturale.

Outre les performances fonctionnelles et techniques dont il fait preuve, la valeur du bâtiment, échappant à toute intention esthétique, résulte notamment de son programme architectural complexe, mais aussi des matériaux utilisés, inhabituels à l'époque dans le domaine de la construction et surtout de leur mise en
œuvre novatrice, imaginé dans les moindres détails.
La réalisation, loin de la construction traditionnelle, tend vers une certaine « immatérialité », dans laquelle la hiérarchie forme/structure est volontairement inversée.

Malgré la complexité du programme architectural et des techniques mises en œuvre pour y répondre, son volume très simple consiste en un grand parallélépipède, presque abstrait, qui occupe la totalité de la surface de la parcelle, respectant les limites de l'îlot et de son implantation. Il apparait comme un vaste espace entouré d'une enveloppe dynamique.

Pour l'espace intérieur, le plan est libre et définit une grande halle évolutive sur deux niveaux dont les volumes intérieurs sont flexibles et peuvent être remaniés au gré des activités grâce à divers éléments mobiles (cloisons, plancher et toiture) pouvant pivoter ou coulisser pour libérer complétement l'espace.
Plancher mobile
Le système de plancher mobile, permettant la création de la grande salle au premier étage, est constitué de :
- 8 planchers mobiles ;
- Un pont transbordeur ;
- Un ascenseur à plancher ;
- Une structure verticale disposée de part et d'autre de l'armoire à plancher comprenant les verrous de blocage des planchers ;
- Une machinerie disposée en toiture de l'ouvrage dans laquelle un motoréducteur avec arbre de transmission permet une manutention synchrone des ascenseurs.

Toutes les structures sont réalisées en acier. Les mécanismes de translation sont soit électriques soit hydrauliques soit pneumatiques selon les ouvrages. Et manuels en ce qui concerne les verrous de blocage.

Quand la trémie est couverte, 7 planchers couvrent la trémie et un plancher surélevé forme l'espace scène. Sous ce dernier plancher surélevé se trouve le pont transbordeur qui est indispensable pour la manutention.

Lors de l'ouverture de la trémie, le pont transbordeur et le plancher n° 1 s'élèvent sur la hauteur de l'armoire à planchers. Il y a un verrouillage en partie haute du plancher. Ce verrouillage permet un appui du plancher sur les structures latérales de l'armoire. La manœuvre se fait manuellement depuis la fosse du machiniste faisant partie du pont transbordeur.
Une fois le plancher verrouillé, le pont transbordeur redescend seul à l'aide de l'ascenseur jusqu'à se retrouver en partie basse dans l'alignement des rails de roulement des planchers fermant la trémie. Le pont transbordeur peut alors se translater et venir se loger en sous face du deuxième plancher. Des vérins sont alors activés permettant de soulever le plancher n° 2 et de le dégager de ses pions de centrage. Le pont transbordeur effectue alors une translation arrière avec le plancher et se positionne sur l'ascenseur. Il peut ainsi s'élever et retrouver le même cycle que celui utilisé pour le stockage du plancher n° 1.
En fin de cycle, le dernier plancher est translaté au droit de la première travée située à l'aplomb de l'armoire à planchers.

Pour la fermeture de la trémie, cette opération reprend les mêmes manœuvres, dans le sens inverse.

Selon l'étude de 1978 pour le renforcement du plancher du premier étage, établie par les architectes G. Choumistzky et MP. Rainaut, les planchers mobiles ont été fixés définitivement à la structure porteuse du bâtiment, qui a été renforcée à cette occasion, et leur remise en état est fortement compromise depuis 1979, du fait de leur recouvrement d'une chape de béton et de la mise en place de poteaux, à mi travée, au rez-de-chaussée, afin de soutenir ce plancher.
Cloison mobile
Cette cloison sert à clore l'espace de la salle de projection durant les séances de cinéma. Elle est composée de 60 panneaux larges de 1,04 m et hauts de 7 m. Ils ont été dessinés par l'entreprise FAC, sous-traitante des ateliers PROUVÉ.

Son déplacement se fait par l'intermédiaire d'un rail creux suspendu de 95 m de long (elle ne touche pas le sol au niveau de la grande salle), dans lequel roulent 120 galets (soit 2 galets par panneau). Pour s'ouvrir, la cloison mobile se sépare en deux parties de 30 panneaux, qui vont se replier les uns devant les autres, derrière l'espace de la scène grâce à deux rails de guidage au sol. Leur mécanisme est accessible par la toiture, où deux moteurs électriques (un de chaque côté) et des leviers démontables de verrouillage assurent le déplacement et le blocage d'une demi cloison. Leur manœuvre totale doit durer environ 5 minutes.

Les panneaux sont constitués d'une structure métallique en acier formée d'un cadre léger et entretoise en profilés de tôle pliée et sont articulés
entre eux par des joints métalliques souples. La partie basse des panneaux, sur une hauteur de 2 m, est formée de deux tôles galbées. 14 de ces panneaux (plus deux aujourd'hui selon l'ACMH), comportent une porte avec une étroite bande verticale vitrée. Concernant la partie supérieure, les cadres sont remplis de laine minérale et recouverts de chaque côté d'un tissu de Rabhan, selon la revue L'Architecture d'aujourd'hui de 1940.

D'après Hervé Baptiste, la cloison mobile a été modifiée : deux portes ont été ajoutées, ses éléments ont été peints (devenue blanche avec portes rouges) et la partie haute, formée de panneaux acoustiques et de tissus, a été modifiée et recouverte de tôle réfléchissante.

Elle a subit un désamiantage total durant la campagne de travaux, nommée « préparation aux travaux intérieurs », en 2005. Aujourd'hui, il ne subsiste que sa structure et, sa partie haute n'ayant jamais été remontée après désamiantage, elle n'est plus en fonctionnement.
Comble roulant
Cette toiture vitrée et escamotable recouvre la partie centrale de la grande salle et est formée de deux sheds solidaires, montés sur une structure métallique d'un seul tenant. Cette couverture était constitué de verre armé et d'un faux plafond suspendu en rhodoïd nervuré.

Selon Hervé Baptiste, ce faux plafond laissait passer la lumière du jour en journée et présentait un éclairage zénithal important et diffus en soirée, grâce à un nombre important de lampes électriques. Le rhodoïd aurait été mis en place peu de temps après la fin du chantier, mais n'ai pu constater sa présence sur aucun cliché. Des stores noirs, réalisés par l'entreprise BELZACQ FRÈRES, étaient également installés à l'intérieur des toitures mobiles afin de permettre de faire l'obscurité dans la salle de cinéma en journée.

L'ensemble des mécanismes et des éléments en acier ont été réalisés par l'entreprise SCHWARTZ-HAUTMONT. Les ateliers PROUVÉ ont réalisé l'habillage des poutres de roulement en tôle pliée.
Le comble roulant se déplace grâce à des moteurs électriques. Les commandes et l'alimentation s'effectuent par des câbles souples, visibles en toiture, côté rue Klock. Son déplacement s'effectue par l'intermédiaire de roues montées sur deux rails Vignole et est porté par deux grandes poutres en treillis d'une hauteur de 2,5 m et d'une longueur de 27 m au dessus de la salle. Ces poutres se prolongent vers le boulevard du Général Leclerc par des fers à l'air libre, d'une portée de 10,75 m. L'ensemble se déplaçait en quelques minutes.

En 1991, avant les travaux de restauration du clos et couvert, tout était en place mais il n'avait pas fonctionné depuis les années 80 car le rail de roulement côté rue Martissot était corrodé. Les vitrages en sheds avaient été remplacés par du zinc sur volige en 1969 et recouverts d'asphalte pour assurer leur étanchéité. Les pignons vitrés avaient été peints en noir. Les stores avaient disparus et le rhodoïd avait été retiré en 1968 pour être remplacé par un faux plafond opaque.

État de la cloison mobile, avant 1995
Auteur anonyme, site internet Topic Topos
« Rapport diagnostic de la structure des planchers mobiles et du système de rangement » établi par le Bureau d’études Arcora, p. 4