MAISON DU PEUPLE, CLICHY
par Leïla Beloucif
Prémisses du projet
En 1935, Charles Auffray, maire de Clichy, lance une commande pour la construction d'un marché couvert, à l'emplacement du marché de Lorraine , installé depuis longtemps sur le boulevard du Général Leclerc. Ce marché en plein air était alors abrité de structures métalliques rudimentaires et éphémères, très peu commodes par temps de vent et intempéries. Cette commande prévoyait également d'augmenter la surface d'exploitation du marché jugée trop petite.

Les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods sont choisis d'emblée par le maire de Clichy, et ce en dédommagement des préjudices encourus à la suite du report de la construction d'une école de plein air dont ils avaient gagné le concours. Ils proposent une hypothèse novatrice : rentabiliser au maximum l'espace, en y ajoutant une salle polyvalente modulable au premier étage ainsi que de nombreuses salles de commissions pour les sociétés locales.
Suite à ces esquisses, le projet devient alors « un marché fermé et salle des fêtes et de conférences superposés » et baptisé par Charles Auffray « Maison du peuple ».

Pour le maire communiste, ce projet de Maison du peuple est une opportunité qui permettrait d'affirmer et de mettre en exergue les valeurs socialistes, de donner une identité à la classe ouvrière, de promouvoir la culture en vue de l'émancipation du peuple, mais également de résorber une partie du chômage et d'alléger ainsi la collectivité publique de certaines allocations.

La première esquisse prévoyait déjà une grande flexibilité de l'espace ainsi qu'une toiture escamotable. Dans ce même document, les architectes présentent également des arguments économiques tels une rentabilité accrue du terrain et la nécessité d'utiliser au maximum une main d'œuvre locale.

Le bâtiment est alors d'un volume restreint et compact et les parois sont translucides. Les systèmes de chauffage, d'aération et d'éclairage nécessaires sont prévus et ne doivent pas apparaître comme des éléments rajoutés mais faire partie intégrante du bâtiment.

La dépense envisagée est élevée mais pour ne pas alourdir les charges publiques, un emprunt permettra d'étendre l'amortissement sur les générations à venir qui bénéficieront de l'édifice. Il sera demandé auprès de la Caisse de crédit aux départements. Très tôt l'autorisation préfectorale de demande de prêt est accordée. Tout comme une aide est accordée par l'État plus tard, en avril 1937, dans le cadre du Plan contre le chômage.

L'année suivante, en 1936, des modifications doivent
être apportés à la première proposition et l'on constate que la partie sensée être la plus rentable du projet, à savoir le marché, ne dépassera finalement pas la surface initiale, correspondant à la surface de la parcelle. Ce qui réduira considérablement les apports financiers escomptés. De plus, les charges sont accrues du fait de l'entretien, du chauffage, de l'éclairage et du gardiennage.
Malgré ces contraintes, le projet est maintenu et les travaux de terrassement commencent presque aussitôt.

À cette même époque, l'équipe de conception s'élargie en intégrant Jean Prouvé, ingénieur-constructeur (qui venait d'achever avec Beaudouin et Lods l'aéroclub de Buc - première œuvre architecturale intégralement réalisée en tôle et en usine) et Vladimir Bodiansky ingénieur. L'esquisse initiale est alors affinée.

Jean Prouvé apporte, au-delà de la conception, des solutions techniques originales. En effet, avec la Cité de Refuge, bâtiment réalisé en 1933 par Le Corbusier, la Maison du peuple constitue un des premiers exemples en France de façade en mur-rideaux en panneaux préfabriqués. Les murs, non porteurs, sont simplement suspendus à la structure.

Suite à la consultation des entreprises en septembre 1936, qui affiche un dépassement considérable des prix annoncés, le projet doit encore subir quelques modifications, qui contraignent la ville à le revoir à la baisse sans toucher à l'essentiel de la conception. Le sous-sol prévu initialement doit être réduit en surface, tout comme l'étage de bureaux qui est supprimé afin de réduire les coûts. Ces changements auront pour conséquence certaines modifications techniques afférantes aux charges supportées par les planchers, au sablage des pièces métalliques et à l'isolation phonique.

En janvier 1937, la situation internationale laissant peser des menaces de guerre, le Conseil municipal décide alors d'enrichir le projet en y ajoutant un abri collectif contre les bombardements aériens en sous-sol. Mais faute d'aides financières des Subventions de la Défense Passive, la construction de l'abri anti-aérien est abandonné, puis remplacé par un abri partiel en mai 1937.

Pour ce projet, autant la conception que le chantier rencontrent nombre d'aléas liés à la crise économique et sociale d'une époque trouble et à l'augmentation du coût des travaux. Durant toutes les étapes de construction, les architectes et ingénieurs ont du faire des compromis afin de respecter le budget. Les travaux s'achèvent tant bien que mal au début de la guerre.

Place du marché, boulevard de Lorraine (actuel boulevard du Général Leclerc), vers 1920

Place du marché, boulevard de Lorraine (actuel boulevard du Général Leclerc), vers 1920
Procès-verbal du conseil municipal du 3 avril 1937
Procès-verbal du conseil municipal du 26 septembre 1936
Procès-verbal du conseil municipal du 5 mai 1936
Cette esquisse est explicitée dans une lettre datée du 24 octobre 1935 et adressé au secrétaire de mairie
Député-Maire de Clichy entre 1925 et 1942, ancien communiste fondateur du Parti d’Unité Prolétarienne rattaché au Parti Socialiste en 1937