ÉCOLE DE PLEIN AIR, SURESNES
par François Rougeron
Contexte
Contexte social
La montée des mouvements socialistes en Europe, dès la fin du XIXe siècle, va faire apparaître des considérations d'un nouvel ordre, tant au niveau du travail, du logement que des loisirs. Elles vont amener aux réflexions autour de l'hygiénisme. Avec le mouvement hygiéniste apparaît l'idée du traitement des malades par une exposition au soleil et à un air sain. Si cette idée de cures existait déjà avec les thermes et l'eau depuis l'époque romaine, l'air et le soleil en tant que remèdes découlent d'une vision assez neuve. Le soleil étant alors considéré comme « bactéricide ». Ces considérations auront un impact extrêmement fort au niveau politique et par conséquent sur l'architecture de cette période.
Marcel Lods résume très bien cette évolution : « Il y a là une imbrication stupéfiante des nécessités de l'existence et de l'accélération des édifices à construire [...]. Des bâtiments de plus en plus nombreux pour des hommes qui deviennent de plus en plus nombreux ».
De nouveaux programmes apparaissent donc, tels des sanatoriums pour les adultes, ou des écoles de plein air pour les enfants. Ces nouveaux programmes sont censés prévenir ou guérir de la tuberculose ou du rachitisme notamment.

C'est dans ce contexte social que les premières écoles de plein air voient le jour, définies en ces termes par le Docteur Abel Violette, fondateur du préventorium de Saint-Laurent de la Mer, à Saint-Brieuc : « Un établissement médico-pédagogique pour enfants d'âge scolaire conciliant besoins de l'organisme et nécessités de l'instruction ». Les premières écoles à mettre en place un apprentissage en extérieur voient le jour dès 1904 en Allemagne, avec la Waldschule (école de la forêt) à Charlottenburg (Berlin).
La diffusion de ce genre d'établissements se fait de manière assez éparse en Europe. En France, la première école de ce type est installée à Lyon en 1906 et restera longtemps une des seules (on peut noter des traces d'autres écoles fondées entre 1906 et 1910, mais leur existence reste plutôt anecdotique). L'Angleterre et les Pays-Bas sont sans doute les pays d'Europe qui verront le plus de créations d'école de plein air. Avant la réalisation de l'école de Suresnes, Eugène Beaudouin et Marcel Lods visiteront en compagnie d'Henri Sellier de nombreuses écoles de ce genre au Pays-Bas, et en particulier celle de Johannes Duiker et Bernard Bijvoet à Amsterdam, qui les influencera beaucoup.

Henri Sellier, élu maire de Suresnes en 1919, y installe la première municipalité socialiste. Il s'inscrit dans une conception du socialisme issue de la vision de Jean Jaurès, dans sa volonté d'éduquer et de permettre une socialisation des individus. Il accordera beaucoup d'importance à ce qu'il appellera des « réalisations positives ». Ludovic-Oscar Frossard écrira, quelques jours après son décès : « [...] il faudra consacrer [...] à ce socialiste de la classe des Bâtisseurs une mention spéciale car il aura eu cette originalité, dans un parti en proie à la doctrine, de préférer les actes aux mots. »

Très tôt, Henri Sellier orientera sa volonté vers l'évolution du confort et de la santé de ses concitoyens. En effet, ayant contracté la tuberculose et ayant subi un processus long et pénible de guérison, il attachera beaucoup d'importance à la
recherche de solutions à la propagation de l'infection.

Il deviendra l'un des instaurateurs de la mise en place des Offices Publics d'Habitations à Bon Marché (OPHBM) dans le département de la Seine, et ce dès 1913 et la mise en place de l'application de la loi Bonnevay. Ces Offices, selon cette loi, « auront pour objectifs exclusifs l'aménagement, la construction et la gestion d'immeubles salubres [...] ainsi que l'assainissement des maisons existantes, création de cités-jardins ou de jardins ouvriers. »
Après avoir présidé à la fondation de l'OPHBM de la Seine, il fera construire dès 1921 une cité-jardin à Suresnes par Alexandre Maistrasse. Cette cité-jardin vient prendre place sur un terrain de 420.000 m2 entre le Mont Valérien et le champ de courses de Saint-Cloud, à l'emplacement de l'ancienne ferme de la Fouilleuse. Le plan prévoit alors l'édification de près de 10.000 logements pour « toutes les catégories de personnes », créant ainsi véritablement une ville nouvelle à Suresnes.

La vision d'ensemble portée par Henri Sellier est très bien résumée par le rapprochement des trois définitions qu'il donne de l'hygiène, du socialisme et de l'urbanisme : « L'hygiène n'a plus seulement pour ambition la guérison et la prévention des maladies du corps et de l'esprit, mais dans son aspect social, elle revendique comme fin le plein épanouissement physique, intellectuel et moral de l'individu [...] Les buts du socialisme visent une organisation sociale donnant à chacun le maximum de bien-être et de liberté [...] ils impliquent une sécurité matérielle permanente pour tous, l'organisation des institutions propres à l'assurer [...] permettant de satisfaire aux besoins de chacun » et « L'objet essentiel de la science urbaniste est la création d'un milieu de vie collective et sociale, où chaque individu pourra trouver le maximum de satisfactions intellectuelles et physiques et assurer dans les conditions les plus favorables les besoins de son existence quotidienne et de son libre développement ».

La question d'une école de plein air apparaît donc logiquement chez Sellier et à Suresnes. Ainsi, lors de l'été 1921 fut proposé pour la première fois un stage de plein air aux enfants présentant des troubles de la santé. Cet établissement temporaire était organisé dans le haras de la Fouilleuse. Lors du début de la construction de la cité-jardin, le haras sera rasé, ne permettant plus la tenue de ces stages. L'idée d'une école de plein air conçue spécialement dans ce but fait alors surface.

Eugène Beaudouin et Marcel Lods travailleront sur l'école de plein air sur demande d'Henri Sellier, alors maire de la ville de Suresnes. Ils viennent donc s'inscrire, avec leur bâtiment, dans un contexte urbain, social et constructif plus important que la seule commune de Suresnes, dans le cadre d'une réflexion plus large menée par Henri Sellier. Ils collaborent aussi avec Louis Boulonnois, secrétaire général de la ville de Suresnes, mais également ancien instituteur qui prendra très au sérieux la construction de l'école de plein air.

L'école de Suresnes va donc profiter de toutes ces influences pour apporter une réponse très complète et novatrice à des problèmes à la fois programmatiques, architecturaux et constructifs.
Premier projet
En 1931, Beaudouin et Lods proposeront à Henri Sellier un premier projet pour l'école de plein air. La forme se ressent très fort de l'influence de leur visite à Amsterdam.
Dans la brève description qu'ils envoient au maire de Suresnes, on peut lire les « idées principales qui ont dirigé l'étude » et qui resteront au cours de l'évolution du projet : « Obtenir en toutes saisons un maximum d'ensoleillement des locaux abrités [...] Pour permettre la classe pendant les journées pluvieuses mais chaudes, le vitrage peut s'effacer intégralement [...] Une terrasse située devant les classes permettra le travail à l'extérieur les jours doux. »
Si les idées explicitées ici sont acceptées, le projet sera tout de même refusé, la forme et la circulation dans le bâtiment étant remises en cause. Louis Boulonnois, ancien instituteur, proposera alors une circulation en rampes plutôt qu'avec des escaliers et des pavillons séparés plutôt qu'en grappes. L'idée que l'emploi du temps des écoliers pourrait dicter la composition du tout est aussi évoquée à ce moment-là.

La deuxième version du projet présente un plan sur lequel le bâtiment perd sa forme de carré pour s'adapter un peu plus à la forme de la parcelle.
La géométrie de l'ensemble est plus simple. On commence à percevoir la présence de cheminements extérieurs. Au cours de son évolution, le projet va affiner cette idée de passerelles extérieures reliant des pavillons pour les classes. Avec cette idée vient aussi celle des toitures terrasses, accessibles et donc la volonté de lier ces espaces de toiture en un cheminement continu.
Le bâtiment présente alors deux faces très distinctes. La façade nord est un grand mur borgne, protégeant les enfants des vents froids, tandis que la façade sud
est ouverte sur l'extérieur, profitant ainsi au maximum du soleil.

Toute cette conception de l'école de plein air de Suresnes répond de façon quasiment exacte à ce que le médecin Émile Marchoux, secrétaire de la revue L'Hygiène par l'exemple, écrira dans le deuxième numéro, en 1922. Dans son article « L'air à l'école », il décrit de façon très précise l'agencement d'une école de plein air idéale : « L'école urbaine de plein air doit être installée à la périphérie des villes dans un endroit découvert, largement aéré, écarté des usines et des établissements insalubres. Elle exige un terrain vaste, parsemé de bouquets d'arbres et, si possible, disposé en pente légère du côté du midi. [...] Il convient d'orienter vers le sud-est la façade des bâtiments qui doit rester ouverte et protéger les trois autres. [...] La disposition générale du groupe comporte la construction de trois établissements scolaires, école de garçons, école de filles, école maternelle, réunies par des galeries couvertes à un groupe de bâtiments central. [...] Les classes seront étalées le long des galeries couvertes, séparées les unes des autres par des espaces égaux à leurs propres dimensions [...] Les dimensions d'une classe de 30 élèves qui, au maximum, doivent y prendre place, seront de 7 mètres sur 9 avec une hauteur sous plafond de 5 mètres ».
S'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude qu'Eugène Beaudouin et Marcel Lods ont eu connaissance de cet article, il parait assez vraisemblable qu'ils aient eu des liens avec les responsables de la revue à l'époque de la conception de l'école. En effet, ils écriront pour la revue dès 1935 lors de l'achèvement du chantier, le bâtiment étant même publié comme exemple dans la revue dès
1934.
Pour cette histoire et celle de l'école de plein air, voir notamment CHÂTELET Anne-Marie, Le souffle du plein air : histoire d'un projet pédagogique et architectural novateur (1904-1952), Genève : MétisPresses, Genève, 2011 (coll. vuesDensemble)
L’Hygiène par l’exemple, 13e année, n° 5, septembre-octobre 1934
MARCHOUX Émile, « L'air à l'école » dans L'Hygiène par l'exemple, 1922, pp. 2-5, 13
Rapport technique de l'architecte à la mairie de Suresnes, 1931 [Archives communales de Suresnes]
SELLIER Henri cité par LEROUX Thierry, Henri Sellier, maître-d'œuvre de la vie urbaine, Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 1987, pp. 92-93
Extrait de la Loi Bonnevay, votée le 11 juillet 1912 et promulguée dès le 23 décembre 1912
FROSSARD Ludovic-Oscar, Mot d’Ordre, 29 novembre 1943, cité par LEROUX Thierry,Henri Sellier, maître d'œuvre de la vie urbaine, Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 1987, p. 85
GARDET Mathias, Histoire des PEP Pupilles de l'école publique. Tome 1. La solidarité, une charité laïque ?, éd. Beauchesne, Paris, 2008, p.146
LODS Marcel, Le métier de l'architecte. Entretiens avec Hervé Le Boterf, éd. France-Empire, Paris, 1976, p.38