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At-Meidan, Palais de justice et Parc archéologique
Présentation
At-Meidan, Palais de justice et Parc archéologique
L'At Meydanı (Hippodrome) ou "Grande Place de la République"Dans le plan directeur de 1937, la Grande Place de la République « sur l'antique Hippodrome, réalisée par la démolition des Écoles occupant l'extrémité Sud » est définie pour être utilisée « en vue de grands défilés militaires », et pour accueillir un « monument symbolique – très élevé, visible pour tout voyageur du Bosphore et de la Marmara », ainsi que le « palais de justice et des édifices administratifs à proximité ». Ainsi Prost est prêt à détruire le beau bâtiment de l'École industrielle édifié par Raimondo D'Aronco, à la fin du XIXe siècle . L'At Meydanı est bordée à l'est par la Sultan Ahmet camii, et à l'ouest par le palais d'Ibrahim Paşa (bien qu'en ruine) et par le Defter-i Hakani construit par Vedat Bey en 1908. Pour de nouveaux édifices, il ne reste que l'angle nord-ouest, et c'est là qu'est prévue l'implantation du palais de justice. Le terrain n'est pas tout à fait libre puisque se trouve l'ancien pénitencier, mais il peut être remplacé. À partir de 1934, plusieurs terrains avaient été envisagés : l'ancien pénitencier et atelier de couture à Sultanahmet, le boulevard Atatürk à la hauteur de Saraçhane et l'ancienne prison Tomruk Dairesi.

Dans un « Exposé » relatif à l'At Meydanı , Prost indique les conditions de la composition. Sur le côté nord, « une servitude de hauteur réglementera la hauteur des immeubles situés entre Divan Yolu et la Grande Citerne» , à l'est l'espace compris entre Sainte-Sophie et Sultan Ahmet camii, compris dans le Parc archéologique, sera fouillé « pour retrouver les vestiges du Palais de Constantin […] et peut-être aussi des restes de civilisations plus anciennes. » Des jardins mettront « en valeur ces découvertes, et s'il y a lieu, contribueront à dégager Sultan Ahmet camii de toutes constructions parasites susceptibles d'altérer la silhouette de ce merveilleux édifice » . Au Sud, les Écoles de Commerce et des Arts et métiers seront transférées ailleurs, et toute l'extrémité de l'Hippodrome sera dégagée pour former un « splendide belvédère », et enfin à l'ouest, « le palais de justice occupera entièrement ce côté ». Le bâtiment du Cadastre sera supprimé, les gradins de l'Hippodrome seront fouillés, les vestiges du palais d'Ibrahim Paşa « seront en principe conservés et mis en valeur par la composition de l'édifice judiciaire ». « C'est sur l'emplacement des anciens gradins que le peuple d'Istanbul assistera aux cérémonies civiles et militaires qui se dérouleront sur la place de la République ». « La place de la Citerne Bir Bin Direk pourrait devenir la place de la Justice ». Enfin, « la façade de cet édifice vers la place de la République devra constituer, par ses lignes et ses proportions, un ensemble architectural qui, vu de la place et de la Marmara, présentera une ordonnance monumentale conçue avec l'objectif impératif de mettre en valeur cette merveille d'architecture qu'est Sultan Ahmet camii ».
Le palais de justiceUn plan dessiné par Prost (ou plutôt par un de ses collaborateurs, non signé, peut-être Grange), daté du 7 juillet 1942 , montre un énorme édifice (« Adliye Sarayi ») composé de quatre grands corps de bâtiments : un premier donnant sur la place, assez massif, dont la façade nord, face à la Firuz Agha camii, est courbe afin de mettre en valeur le petit édifice ; un deuxième, qui déborde derrière le palais d'Ibrahim Paşa, prend la forme d'un peigne orienté vers l'ouest ; deux autres placés derrière (sur la citerne de Bin Bir Direk), plus petits, en forme de L et orientés en diagonale pour retrouver la direction du tissu urbain (Klodfarer caddesi), abritent des bureaux (Tevkirhanesi) et le cadastre (Tapu Kadastro Dinası). La façade sur la place est constituée par un grand portique monumental, caractéristique de l'architecture française de l'époque dans sa veine traditionnelle.

Une commission réunie, en 1946, pour faire le choix définitif de l'emplacement du palais de justice comprend des architectes (dont S. H. Eldem, chef de la section architecture de l'Académie des Beaux-arts ), des fonctionnaires turcs, et Prost comme conseiller de la municipalité d'Istanbul. Le « Rapport » rejette l'emplacement sur le boulevard Atatürk, trop éloigné du centre de la ville, et retient trois terrains possibles : celui de l'ancienne prison (Tomruk Dairesi) construite en 1914-1919 près de l'ancien palais de justice et de Sainte-Sophie, celui de l'ancien palais de justice, justement, incendié en 1933, et l'ancien Pénitencier central, situé entre le palais d'Ibrahim Paşa et la Firuz Agha camii. Le premier est jugé trop petit, trop pentu et trop enclavé. Le deuxième est inclus dans le Parc archéologique, et les fouilles effectuées dans ses environs ont mis au jour « d'importantes œuvres archéologiques » ; de plus, sa « silhouette imposante ne cadrerait pas bien avec les deux plus grands monuments d'Istanbul entre lesquels elle se trouverait placée » (Sainte-Sophie et Sultan Ahmet camii). Reste le troisième : les frais d'expropriation qui jadis avaient été jugés énormes peuvent être réduits et l'emplacement, sur la place de Sultan Ahmet, est le « plus important d'Istanbul ». À l'unanimité, la commission choisit ce terrain, à condition que l'édifice ait « un aspect architectural cadrant avec les anciennes œuvres turques qui l'entourent ». L'organisation d'un concours est décidée.

Mais un autre problème va rapidement surgir. Déjà, en 1942, des archéologues de l'Institut allemand, R. Neumann et A. M. Schneider, avaient découvert sur ce terrain les vestiges de l'église Sainte-Euphémie et des fresques byzantines . Les travaux de fondation du palais de justice furent l'occasion de nouvelles fouilles dirigées par R. Duyuran, sous-directeur des Musées d'Istanbul, commencées en juin 1950 . Une polémique est dès lors soulevée : faut-il sauvegarder ou détruire les vestiges ? Le journal La République (2 juillet 1950) publie sous la plume de Ferdi Öner un article au titre évocateur : « Des vestiges historiques en voie d'anéantissement ». Les archéologues protestent. Öner demande l'arrêt du chantier. « Le plus remarquable, en l'occurrence, c'est que cette œuvre de destruction et de vandalisme s'effectue sous les regards impuissants d'un spécialiste des Musées [sans doute Duyuran]. L'éminent homme de science dont j'ai voulu connaître l'opinion à ce propos a préféré garder le silence. Silence combien éloquent ! Et la façon dont il baissait la tête, avec toutes les apparences d'un désespoir total, indiquait assez combien il était ému de ce massacre auquel il assistait impuissant. »

Ernest Mamboury est partisan de la conservation sous le nouveau bâtiment. A. Gabriel pense qu'après relevé, les vestiges peuvent être enfouis .
Finalement, ils seront conservés, et le palais de justice sera construit derrière les vestiges laissés à découvert dans un jardin public, c'est-à-dire du côté de Bin Bir Direk et la Klodfarere caddesi.

Mais, entre temps, le concours a été organisé . S. H. Eldem et E. Onat présentent un projet assez proche de celui de Prost : derrière le bâtiment bordant la place, sobrement doté d'un portique, il y a la grande salle d'audience, et, du côté arrière, une série d'ailes perpendiculaires à l'Imran Öktem caddesi distribuées par un gigantesque corridor qui les recoupe en leur milieu, ce qui constitue un double peigne. Le projet de N. Erol et M. Önal est beaucoup plus massif. Le projet de R. Beliz, D. Ramçil et F. Meteğil se compose d'un petit corps de bâtiment sur la place, dont la façade est entièrement portiquée, et d'une grande barre percée de cours parallèles. Enfin, le projet de Y. Muh et K. Söylemenoğlu, également portiqué en façade, est composé d'un bâtiment arrière distribué par un grand corridor. Tous sont assez bas pour ne pas imposer leur silhouette, et ont un mur d'enclos intégrant la mosquée Firz Agha.

Le projet choisi fut celui de S. H. Eldem et E. Onat, mais profondément modifié par la nécessité de conserver les vestiges de l'église de Hagia Euphemia, les vestiges du palais de Lausus et Antiochus étant partiellement recouverts. Le bâtiment bordant la place est supprimé, et tout se concentre dans le grand et bel édifice longeant l'Imran Öktem caddesi, composé en double peigne, ou à redents, comme dans le projet initial.
La première pierre en a été posée début juillet 1951. La fin du chantier était prévue pour le 29 mai 1953, anniversaire de la Conquête d'Istanbul.

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Le Parc archéologiqueDés l'élaboration du plan directeur, Prost a prévu un aménagement particulier pour la zone comprenant les palais byzantins, l'Hippodrome et Sainte-Sophie. Il avait déjà soigneusement analysé cet espace en 1905-1908 à l'occasion de sa « Restauration ». Dans l'esprit de tous les architectes urbanistes du XXe siècle, aménager un site historique comprenant des monuments, c'est d'abord dégager ces monuments de leur contexte urbain, souvent composé de maisons ordinaires. Prost ne fera pas exception. Mais il n'est pas le premier à concevoir un projet spécifique pour la zone des Palais impériaux byzantins : Jacques Lambert et Alfred-Donat Agache, consultés par le gouvernement turc, l'ont fait avant lui.

L'urbaniste A.-D. Agache avait rendu, en 1934, un rapport important : « Grand Istanbul. Un programme d'urbanisation ». Il y affirme un principe « mis en vigueur dans la plupart des grandes villes modernes ayant un passé historique », à savoir « de déterminer les zones archéologiques fouillées et non fouillées à conserver et à mettre en valeur tant dans l'intérêt du touriste que dans l'intérêt du savant ». Il prévoit l'aménagement de « promenades archéologiques » : un « centre archéologique » entre la Pointe du Sérail, l'Hippodrome et Saints-Serge-et-Bacchus, intégrant les Palais impériaux, une « première zone de protection historique » s'étandant jusqu'à la mosquée de Sultan Selim en suivant la crête de Stamboul, et une « deuxième zone de protection historique » qui la complète en descendant de Beyazit vers la Corne d'Or et la mer de Marmara.

Jacques Lambert, primitivement appelé à Istanbul en 1934 pour « l'étude d'embellissement des zones incendiées », a en fait rédigé « programme » d'urbanisme complet. Dans un chapitre sur la « mise en valeur des ensembles monumentaux existants », il a a prévu une dimension « Istanbul cité des arts » : « Le tracé des voies nouvelles prévues dégage les perspectives des monuments de Sultan Ahmet camii, au sud et à l'est, par des alignements rectilignes ; le jeu des terrasses plantées est obligatoire pour cette partie de la ville, où la pente des terrains permet une belle composition de voies en gradins suivant les courbes de niveau, les bâtiments étant construits en bordure de celles-ci (à deux ou trois étages au maximum, suivant les secteurs, sauf les édifices publics) et du côté opposé à la vue. Dans notre plan, les axes des façades des grandes mosquées sont dégagés : signalons devant Sultan Ahmet camii, au nord, un grand miroir d'eau reflétant l'élégante silhouette du monument, tandis qu'une allée de verdure et d'eau conduira jusqu'aux bases ombragées d'Aya Sofia. » Lambert avait aussi prévu la construction d'un « Musée des fouilles urbaines » : « Un Musée, annexe aux très beaux monuments existants, devra recevoir l'extension de ceux-ci, que viendront notamment accroître le produit des fouilles exécutées à l'occasion des travaux que nous suggérons. En effet, nous signalons ici que l'étude objective que nous avons engagée pour Istanbul de demain nous a conduit, dans différents secteurs de la ville, à envisager des opérations qui coïncident sur quelques points avec certains tracés antiques, ceux-ci très importants et fixés, écrits pour ainsi dire sur le sol, par une utilisation millénaire des lieux. »

Prost a consacré un long passage de sa communication à l'Académie des Beaux-arts du 17 septembre 1947, à son projet de « Parc archéologique » :

« Il est logique que la Nation conquérante veuille d'abord consacrer ses modestes crédits à entretenir les monuments que le génie turc a édifiés sur les ruines de l'ancienne Byzance. Ces édifices turcs sont nombreux, ce sont eux qui, par leur silhouette si caractéristique, ont valu à Istanbul sa célébrité, mais il faudra bien des années de travaux confortatifs pour les empêcher de péricliter, aussi la très grande majorité des Turcs est-elle opposée à l'affectation de crédits à tout ce qui est antérieur à la Conquête. Ils n'ignorent, cependant pas que ces souvenirs d'avant la Conquête seraient des éléments attractifs du tourisme international mais, ne disposant pas des ressources nécessaires, ils sont dans l'obligation de s'en désintéresser. Les 'Amis d'Istanbul' et les Conservateurs des Antiquités ont catégoriquement émis l'avis que la conservation des édifices antérieurs aux turcs, sauf Sainte-Sophie, ne pouvait se faire qu'avec des crédits étrangers.

Le plan directeur de l'aménagement d'Istanbul, que j'ai dressé, prescrit la création d'un Parc archéologique à l'emplacement de l'ancien palais des Empereurs, qui fut construit par Constantin, lors de la fondation de Constantinople et agrandi au cours des dix siècles de son existence. De cette époque, le Grand Cirque et Sainte-Sophie sont seuls apparents, mais sous le sol, à ras de terre, il y a certainement d'intéressants vestiges. Toute construction nouvelle est interdite dans cette région qui a été, en grande partie, dévastée par un immense incendie en 1933. Un archéologue anglais, M. Baxter, quelques années avant la guerre, découvrait des grands et splendides pavements de mosaïques (en arrière de Sultan Ahmet), qui semblaient dater d'une époque antérieure à Constantin (ceci, sous toute réserve) . Un archéologue allemand, M. Schneider a mis à jour devant le narthex de Sainte-Sophie, à quelques décimètres de profondeur, d'immenses fragments d'architecture merveilleusement traités provenant de la première basilique . Le professeur Gabriel, avait commencé, peu de temps avant la guerre, des fouilles avec de très modestes crédits, à l'emplacement présumé du sénat du forum Augustéon . Nul doute que, dans toute l'étendue comprise entre le rivage et le Grand Cirque et les abords de Sainte-Sophie, on ne fasse des découvertes archéologiques. Atatürk, lorsqu'il désaffecta Sainte-Sophie du culte musulman, déclara que cet édifice n'appartenait pas à une religion, mais à l'Humanité toute entière. Atatürk avait approuvé le projet de Parc archéologique et si le Grand Chef était encore de ce monde, je suis convaincu qu'il prononcerait les mêmes paroles à l'égard du Palais des Empereurs et de ses dépendances : Forum, Thermes, Sénat etc.

L'emplacement du Parc archéologique est presque entièrement composé de terrains particuliers qu'il faudra exproprier, mais je crains qu'à la cessation complète des hostilités et [de] l'état de siège, la reprise des constructions se fasse avec une telle activité que la municipalité soit dans l'impossibilité de faire respecter les prescriptions du plan d'urbanisme, car la Turquie, après plus de 8 années de mobilisation, sera dans l'obligation de consacrer exclusivement toutes ses ressources aux nécessités immédiates de son peuple. Et faute de crédits, nous aurons perdu une unique occasion qui ne se retrouvera jamais de connaître ce qu'était les Palais de Constantin et de ses successeurs.

Au cours de tous les Congrès d'études byzantines , les Français, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Russes, les Belges, les Suisses, les Italiens, les Roumains etc. se sont toujours intéressés aux édifices de la Turquie. Les instituts archéologiques d'Istanbul ont rivalisé de zèle. M. le professeur Whittemore (Américain) , auquel nous devons la résurrection des mosaïques de Sainte-Sophie, a été pour moi d'une aide précieuse. Récemment, nous avons pu préserver hâtivement la Petite-Sainte-Sophie contre les déprédations provenant d'infiltrations souterraines. Ainsi, le concours de M. Whittemore et celui des tous les archéologues précités nous seraient certainement acquis pour la réalisation de la proposition suivante : créer un organisme international d'entraide à la Turquie. »

Ce texte appelle plusieurs commentaires. On aura remarqué que la période dite « avant la Conquête » n'est pas explicitement nommée. Comme si le mot « byzantin » ne pouvait pas être prononcé. Prost a dû faire un énorme effort de diplomatie pour faire semblant de justifier que des Turcs du XXe siècle n'étaient pas en mesure d'apprécier le patrimoine byzantin, comme si la Conquête de 1453 n'avait eu lieu que quelques décennies auparavant. On aura aussi noté la fascination pour Mustafa Kemal. Prost aimait les chefs, ceux qui sont capables de prendre des décisions et de les tenir. Prost avait retrouvé en Atatürk un nouveau Lyautey.

Enfin, en ce qui concerne le dernier paragraphe, Prost ne semble pas connaître une démarche entreprise par A. Gabriel quelques mois avant son intervention devant l'Académie des Beaux-arts. Le 31 juillet 1947, Gabriel a envoyé à l'Unesco une « Note relative à l'exploration, archéologique du Quartier impérial de Constantinople » qui évoque le projet de Prost et la « zone non aedificandi » prévue. Gabriel ajoute qu'il « n'est pas certain que ses conseils soient suivis et que cette interdiction soit respectée ». Le 2 août 1948, Gabriel a lu devant le Congrès d'études byzantines de Paris une seconde note intitulée explicitement « Le Parc archéologique de Stamboul » . Les deux interventions de Gabriel, en tant que directeur de l'Institut français d'archéologie de Stamboul et de professeur au Collège de France, ont manifestement pour but de promouvoir le projet de Parc archéologique de Prost. Aussi, il est peu vraisemblable que Prost n'ait pas connu la première « Note » de Gabriel de juillet 1947. Son contenu le suggère : dès ce moment Gabriel s'adresse à l'Unesco proposer « une exploration archéologique sur la base d'une collaboration scientifique internationale où, bien entendu la Turquie serait représentée ». L'idée de Prost est la même que celle de Gabriel : ne pas reconstruire dans la zone incendiée en 1933, éventuellement exproprier les terrains recouvrant les palais impériaux, mener des fouilles archéologiques et enfin aménager un parc.

Gabriel, relayé par l'Unesco à partir de juin 1949, va donc se battre pour la réalisation du Parc archéologique jusqu'en 1953. De nombreuses commissions seront réunies par l'Unesco, comprenant en leur sein Gabriel, Prost et des byzantinistes français (P. Lemerle, O. Garabar) ou américains. Toutes les tentatives échoueront, la dernière à cause, involontairement, de Reşit Suffet Atabinen qui n'a pas supporté que Paul Lermerle fasse partie de la commission de l'Unesco chargée du dossier. Il faut aussi prendre en compte le contexte politique, c'est-à-dire l'arrivée au pouvoir, en 1950, d'Adnan Menderes, et d'une équipe gouvernementale qui n'est pas encline à favoriser un projet de mise en valeur des monuments byzantins.

Pendant ces années, Prost et Gabriel ont évidemment travaillé main dans la main . L'échec, sur le fond, est dû au coût énorme des expropriations. La zone a donc été, comme le craignait Prost, reconstruite sans être fouillée. Et elle ne pourra, probablement, jamais l'être de façon exhaustive .

Prost, qui se doutait sans doute que ce projet ne serait jamais réalisé, ou du moins pas dans un avenir proche, n'a jamais dessiné ce parc, peut-être aussi parce que son plan aurait dû dépendre des vestiges dégagés. Il s'est contenté, dès 1937, d'en dessiner les limites. Le titre du plan en résume le contenu : « Le Parc archéologique occupera les abords de Top Kapu Saray et l'emplacement d'un quartier incendié, limité par Sainte-Sophie, l'At Meydanı, la mer et la Petite-Sainte-Sophie. Les principaux monuments, Sainte-Sophie, Sultan Ahmet, Sainte-Irène, Sukulu Mehmet Paşa etc., émergeront de cette zone après le dégagement du Grand Cirque et [après] que les recherches archéologiques auront mis à jour les vestiges de l'antique Acropole, du Forum et du Palais des Empereurs avec toutes ses dépendances. » Deux zones « réservées à l'extension des recherches archéologiques » sont indiquées : une à l'emplacement de l'atrium de Sainte-Sophie, et une autre au nord-est de Saints-Serge-et-Bacchus . Pour les aménagements proprement dits, Prost est muet. C'est dans la « Note » de Gabriel de 1947 que l'on trouve l'information suivante, sans doute tenue de Prost lui-même : « Au reste, même si les fouilles n'aboutissaient qu'à des résultats partiels – et en aucun cas, ils ne seraient sans valeur – elles auraient comme conséquence immédiate d'interdire toute construction moderne sur un site historique qui est en même temps le cadre de chefs-d'œuvre monumentaux hors pair. Ce serait déjà un bénéfice capital que de constituer entre Sainte-Sophie et Sultan Ahmet une zone libre où l'on pourrait d'ailleurs présenter de manière séduisante les vestiges découverts en les reliant par des massifs d'arbres et des jardins. » Gabriel écrit ailleurs : « À côté des murs antiques ou byzantins mis au jour au cours des fouilles futures, seraient aménagés des jardins en terrasse d'où l'on jouirait d'un panorama étendu vers la mer de Marmara et qui, vues de la mer, accentueraient l'unité harmonieuse de cette région. »

C'est d'un parc planté qu'il s'agit, comme dans la tradition française depuis le XIXe siècle. Depuis ce temps, la mise en valeur des vestiges archéologiques se fait toujours par leur intégration dans un parc, dans le sens végétal du terme . D'ailleurs, le plan de Prost a tout de même entraîné la réalisation d'un jardin public entre Sainte-Sophie et Sultan Ahmet camii.

Tout le projet initial de Prost reposait en fait sur l'existence de la zone incendiée en 1933, qui aurait pu être libérée par expropriation. Sur ce point Prost s'est exprimé en 1938 dans un entretien accordé au journal Le Figaro : « Non seulement respecter l'ordonnance du vieux Stamboul, mais encore dégager les mosquées et les mettre en valeur. Sur ce dernier point, d'anciennes calamités m'apportaient une aide inattendue . En effet, des incendies successifs ont libéré de larges espaces autour de la Pointe du Sérail, détruisant les maisons de bois, elles-mêmes construites avec ce matériau pour mieux résister aux tremblements de terre. Il sera donc facile, en limitant simplement la hauteur des immeubles – une ordonnance vient d'ordonner la démolition des étages supérieurs de nombreux édifices – de mettre Sainte-Sophie et la mosquée de Sultan Ahmet en pleine valeur pour le voyageur, qu'il arrive par le bateau ou par le train. Une véritable politique archéologique sera suivie dans le même temps. Interdiction est d'ores et déjà faite de construire dans un large périmètre où les fouilles vont être poussées, et qui deviendra un véritable Parc archéologique. On espère mettre au jour d'importants vestiges du palais de Constantin. C'est en somme, la politique suivie dans la résurrection de la Rome antique. » Allusion aux travaux de Mussolini dans la Rome fasciste et au dégagement du Forum romain . Toujours cette admiration de Prost pour les grands chefs. On notera qu'à cette époque l'idée de mise en valeur des monuments par leur dégagement était déjà largement remise en cause, comme l'atteste la publication d'un célèbre article de Louis Hautecœur et Jean-Charles Moreux en 1942 , dans lequel il est écrit : « isoler un édifice […], c'est […] violer l'histoire ».

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Pierre Pinon
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Dans L’architecture française, n° 21-22, pages 1-12.
G. Bardet, La Rome de Mussolini. Une nouvelle ère romaine sous le signe du faisceau, Paris, 1937, et A. Cerdena, Mussolini urbanista. Lo sventramento di Roma negli anni del consenso, Bari, 1980.
Les destructions involontaires, ou volontaires aussi d’ailleurs, ont toujours été appréciées des urbanistes.
Daté 29 août 1938, rédigé par Georges Rayon.
P. Pinon, « Essai sur l'histoire et la pratique de l'aménagement des sites archéologiques », dans Les politiques de l'archéologie du milieu du XIXe siècle à l'orée du XXIe (R. Etienne, dir.), Ecole française d'Athènes, Athènes, 2000, pages 313-324.
« Henri Prost et son œuvre à Stamboul », dans Revue Archéologique, 1960, I, page 214.
« Le Parc archéologique de Stamboul », Fonds d'archives A. Gabriel (Bar-sur-Aube).
Pour cette dernière, nous ignorons ce que Prost espérait qu’on y trouvât.
Optimiste, A. Gabriel, en 1960 encore, écrira : « On doit souhaiter que le projet de Prost ne tombe pas dans l’oubli et qu’on parvienne quelque jour à le réaliser entièrement ».
Sur cette affaire, P. Pinon, « Le projet de Parc archéologique d’Istanbul de Henri Prost et sa tentative de mise en œuvre par Albert Gabriel », dans Anatolia Antiqua, XVI, 2008, pages 181-205, et « Il progetto di Henri Prost e Albert Gabriel per un parco archeologico sul sito dei palazzi imperiali e dell’ippodromo di Costantinopoli (1936-1950) », dans Relitti Riletti. Reread Wreckage. Transformations of Ruins and Cultural Identity, Roma, 2009, pages 321-338.
Fonds d'archives A. Gabriel (Bar-sur-Aube).
Archives de l’UNESCO, dossier « Parc archéologique d’Istanbul ».
Küçük Aya Sofia, ancienne église Saints-Serge-et-Bacchus.
Thomas Whittemore, byzantiniste anglais, directeur du Byzantine Institute de Londres.
Les plus actifs pour la promotion du Parc archéologique seront A. Gabriel, et les byzantinistes Paul Lemerle et André Grabar.
Le problème du Parc archéologique d’Istanbul sera discuté, plus tard, au congrès de 1948, tenu à Paris.
A. Gabriel ne parle curieusement pas de ces fouilles dans son article « Recherches d’archéologie byzantine depuis 1936 », (Anadolu. Préhistoire, Antiquité, Byzance, I, 1951, pages 69-74, car elles ont eu lieu en 1938, à l’emplacement de l’ancien palais de justice qui a brûlé en 1933. Mais, c’est plutôt le byzantiniste Paul Lemerle qui a dirigé les fouilles, il est vrai financées par l’Institut Français d’Archéologie de Stamboul.
A.M. Schneider, dans Jahbusch der Deutch Archeologisch Institut, band, 50, 1935, col. 305-311.
Fouilles de D. Russell et J.H. Baxter, du Walker Trust, assistés par Ernest Mamboury, à l’emplacement de palais impérial proprement dit, plus précisément de l’arasta de Sultan Ahmet (G. Brett , G. Martiny et R. Stevenson, The Great Palace of the Byzantine Emperors, Walker Trust, Oxford, 1947, et D.T. Rice, Second report on the excavations, London, 1958). Henri Prost était bien informé car il avait rédigé « L’état des recherches archéologiques et la reconnaissance des principaux vestiges, sites et monuments » (Académie d'architecture/Archives d’architecture du XXe siècle, Cité de l’architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost, HP.ARC.30).
Les projets en ont été publiés dans la revue Arkitekt, seri IV, 1949, 7-10.
P. Pinon, « Il progetto di Henri Prost e Albert Gabriel per un parco archeologico sul sito dei palazzi imperiali e dell’ippodromo di Costantinopoli (1936-1950) », dans Relitti Riletti. Reread Wreckage. Transformations of Ruins and Cultural Identity, Roma, 2009.
Duyuran R., « First Report on Excavations on the Site of the New Palace of Justice of Istanbul », Annual of the Archaeological Museum of Istanbul, n° 5, 1952, pages 23-38.
A. M. Schneider, « Grabung in Bereich des Ephemia-Martyrions zu Konstantinopel », Archäologischer Anzeiger, 1958, 3-4, col. 255 et suiv., et R. Neumann et H. Belting, « Die Euphemia-Kirsche  am Hippodrom zu Istanbul und ihre Fresken », Istanbuler Forschungen, 1966,  page 25.
Prost fait sans doute allusion aux fouilles du Palais des Manganes par A. Demangel et E. Mamboury en 1921-1923 (P. Pinon, « Le projet de Parc archéologique d’Istanbul de Henri Prost et sa tentative de mise en œuvre par Albert Gabriel », dans Anatolia Antiqua, XVI, 2008, pages 181-205).
« Rapport élaboré au sujet de l’emplacement du palais de justice d’Istanbul », 27 février 1946 (Académie d'architecture/Archives d’architecture du XXe siècle, Cité de l’architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost, document HP.ARC.30/20a).
Le jardin réalisé ultérieurement entre Sainte-Sophie et Sultan Ahmet est jugé par A. Gabriel « d’un effet médiocre », (« Henri Prost et son œuvre à Stamboul », dans Revue Archéologique, 1960, I, page 214).
Citerne de Yerebatan.
Académie d'architecture/Archives d’architecture du XXe siècle, Cité de l’architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost, document HP.ARC.30/22a.
Albert Gabriel écrit de même : « Qu’un site historique d’un tel intérêt ait pour fond, vers la sud, un bâtiment moderne comme l’Ecole de Commerce, c’est là un fait regrettable » (« Henri Prost et son œuvre à Stamboul », dans Revue Archéologique, 1960, I, page 214).