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Plan Directeur de 1937
Présentation
Plan directeur d'Istanbul
« La modernisation d’Istanbul peut être comparée à une opération chirurgicale des plus délicates. Il ne s’agit pas de créer une Ville Nouvelle sur un terrain vierge, mais d’orienter une antique capitale, en pleine évolution sociale, vers un avenir où la mécanique et peut-être le nivellement de fortunes vont transformer les conditions d’existence.

Cette ville vit d’une activité prodigieuse – réaliser de grandes circulations, sans nuire à l’essor commercial et industriel, sans enrayer la construction de nouvelles habitations, est une nécessité impérieuse, d’ordre économique et social ; mais conserver et protéger l’incomparable paysage, dominé par de glorieux édifices, est une autre nécessité aussi impérieuse. »

Henri Prost, « Urbanisme », dans « Les transformations d'Istanbul » 

Henri Prost acheva le plan directeur de la rive européenne d’Istanbul le 17 octobre 1937. Il le présenta avec son argumentaire au ministre de l’Intérieur. L’approbation du plan fut repoussée en raison du décès d’Atatürk [le 10 novembre 1938], et le plan ne fut autorisé qu’après l’élection d’İsmet İnönü à la présidence de la République et la nomination de Lütfi Kırdar à la mairie d’Istanbul. Il apparaît que les réserves du ministère des Travaux publics envers ce plan jouèrent un rôle dans ce retard. Le plan directeur fut approuvé le 5 juin 1939 par le ministre des Travaux publics, Ali Fuat Cebesoy.

Le plan directeur de la partie européenne d’Istanbul était composé de deux feuilles séparées, au 5000e, pour les arrondissements du Vieil Istanbul et de Beyoğlu (Pera-Galata). Une nouvelle infrastructure routière réorganisant les transports urbains, d’importants développements urbains et des espaces verts constituaient les éléments principaux du plan. Dans le premier paragraphe du « Mémoire descriptif du plan directeur », Prost insista sur le fait que le plan directeur comprenait des opérations nécessaires pour « vertébrer » l’espace urbain, qu’aucune de ces opérations ne devait être laissée de côté, mais qu’on pourrait leur en ajouter de nouvelles .

En bref, le plan directeur avait pour but de réorganiser la ville historique autour d’une nouvelle structure urbaine. Les opérations urbaines proposées pour cette réorganisation étaient numérotées par ordre d’importance.

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Le programme du plan directeur
Tenant compte des recherches qu’il avait réalisées dans les années 1936-1937 et des points de vue des différentes institutions et corporations, Prost élabora un programme, qui constituait la base du plan directeur, et à partir duquel il développa son plan. Il faut souligner que ce programme, à côté de décisions fonctionnelles importantes concernant l’usage du sol, comprenait déjà des décisions détaillées concernant certains quartiers nouveaux. Les premiers points du programme concernaient les ports, les ponts de la Corne d’Or et les usages industriels :

« A. Le port de Galata sera prolongé jusqu’à l’École des Beaux-arts. Il sera desservi uniquement par des transports automobiles.

B. Le port de Saray Burnu est temporaire – il ne comprendra que des dépôts de la hauteur d’un étage couverts en terrasses aménagées en vue d’une promenade reliant le parc de Saray Burnu au pont de Galata.

C. Le pont de Galata sera légèrement déplacé en amont pour faciliter la création de deux vastes places constituant les têtes de pont.

D. Le pont Atatürk sera exécuté conformément au projet en cours d’exécution.

E. Les rives de la Corne d’Or seront aménagées en vue d’une organisation rationnelle du commerce et de l’industrie locale.

Les grosses industries seront réparties en amont du pont d’Atatürk, selon leur nature et les aspects du paysage ; les plus gênantes étant éloignées vers le fond de la baie.

Accès à l’abattoir améliorés – large Voie Industrielle (autos lourdes) autour de la baie sur les deux rives

Entre les deux ponts :

Rive droite – Développement du secteur de l’alimentation, extension des halles, création de la poissonnerie.

Rive gauche – Construction d’un large quai public sur toute la longueur de cette rive entre les deux ponts. »

Une seconde série de points concernait l’emplacement d’une nouvelle gare internationale où devaient arriver les voies de chemins de fer venant d’Europe. Le programme redéfinissait le rôle de la gare de Sirkeci, et une liaison par ferry-boat était proposée entre les chemins de fer d’Europe et ceux d’Anatolie :

« F. Une gare internationale sera créée à l’extrémité sud du boulevard Atatürk, avec port d’attache du ferry-boat des trains Europe-Asie à destination d’Haydar Paşa.

G. La gare de Sirkedji sera uniquement affectée à la ligne de banlieue électrifiée et aux marchandises du petit port de Saray Burnu à titre temporaire.

H. Les dispositions de la gare internationale et celles de la jetée protégeant le départ du ferry boat seront conçues en vue d’une vaste extension du trafic des marchandises résultant d’un port de dispositions modernes construit dans la baie de Yeni Kapu, Yedikule-Bakırköy. »

Considérant que le cœur de l’activité commerciale de la ville se trouvait au Grand Bazar et dans ses environs, et qu’elle allait se développer, il était prévu d’améliorer l’accès à cette zone :

« I. Le Çarşı [le Grand Bazar], complètement modernisé, mais conservé à peu près intégralement dans ses dispositions générales, sera desservi extérieurement à son périmètre par de larges voies avec parcs de stationnement de voitures à proximité des entrées. »

Une autre des principales résolutions du programme visait à protéger l’emplacement de l’université d’Istanbul dans le centre de la ville historique et d’y développer une zone universitaire :

« J. L’université, acropole intellectuelle, dominant l’ancienne ville, se développera entre Bayazit et Şehzade, constituant un vaste quartier, situé dans les meilleures conditions d’hygiène.

L’esplanade actuelle et ses abords constituera un Grand Parc réservé aux étudiants et aux services généraux centraux.

Chacune des sections de l’université formera un élément qui devra disposer d’une surface de terrain suffisante pour pouvoir se développer en toute indépendance selon les nécessités scientifiques sans cesse en évolution.

La Bibliothèque nationale occupera une position centrale dans le quartier universitaire. »

Créer dans la ville ou à son pourtour des espaces verts des terrains de sport et d’autres espaces libres était un autre des objectifs du plan. Le programme du plan directeur définissait leur emplacement (il est intéressant de noter que l’aviation figurait dans cette catégorie) :

« K. Création d’un jardin éducatif – botanique – collections – zoologique, à Yenibahçe à l’intérieur des murs.

L. Terrains de sports – entraînement – exercices physiques.

M. Champ de courses à Yeni Bahçe, hors les murs.

N. Aviation (en cours d’étude).

O. Aménagement de plages à Florya. »

D’autres points du programme concernaient l’organisation et la protection des sites historiques et archéologiques d’Istanbul. La création d’un parc archéologique à l’extrême est de la péninsule historique était l’une des propositions les plus intéressantes du programme. À cet endroit, les murailles terrestres et la Corne d’Or, ainsi que les murailles maritimes le long de la mer de Marmara, furent présentées comme des sites à protéger. La première mesure de contrôle de la hauteur des édifices, destinée à protéger la silhouette d’Istanbul dans son ensemble, apparaissait aussi dans ce programme :

« P. Aménagement d’un Parc archéologique entre Saray Burnu et Küçük Aya Sofya.

Q. Protection des principaux sites :

Saray Burnu – Dégagement de toutes constructions parasites par la suppression progressive du port et de la gare de Sirkeci.

Remparts terrestres – Zone non aedificandi intégrale d’au moins 500 mètres à l’extérieur et d’une zone variable à l’intérieur, selon des aménagements adaptés au développement des quartiers de la périphérie.

Remparts maritimes – Protection locale à décider selon les dispositions des plans particuliers des quartiers intéressés et la valeur archéologique ou décorative des vestiges.

Remparts de la Corne d’Or – À ne conserver qu’en des points très caractéristiques non sujets à contrarier l’assainissement et la circulation des quartiers de commerce et d’industrie.

Les principaux édifices dominant le paysage urbain motiveront des mesures spéciales concernant la hauteur et le caractère des constructions voisines. Elles seront précisées sur les plans particuliers des quartiers. »

Henri Prost se donna pour but de réaménager Istanbul en tant que « ville des places publiques ». Ces places, avec leurs édifices publics et leurs monuments, devaient être des éléments déterminants de l’esthétique urbaine. Les effets de perspective créés entre ces places, les espaces de promenade et le paysage environnant étaient considérés comme une priorité méritant de figurer dans le programme du plan directeur :

« R. Principales places décoratives et édifices publics :

Grande Place de la République sur l’antique Hippodrome, réalisée par la démolition des écoles occupant l’extrémité sud.
Aménagement en vue de grands défilés militaires.
Monument symbolique – très élevé, visible pour tout voyageur du Bosphore et de la Marmara.
Palais de justice et édifices administratifs à proximité.

Place n° 6 constituée par la place de Bayazid développée en vue de la mise à jour du grand Arc de triomphe antique.

Place n° 19 à la jonction du boulevard Atatürk et de Şehzadebaşı – Édifice commémoratif à élever dans la perspective de la branche sud du boulevard Atatürk.

Place n° 20 formant square à la jonction de la route de Londres et du boulevard n° 13 (accèdant au Parc n° 1 et aux Jeux olympiques).

Esplanade de la gare internationale – vaste belvédère sur la Marmara.

Place du Taksim modifiée et agrandie dans de vastes proportions groupant à proximité : théâtre, salles de conférences, salles d’expositions et de réunions, salles de matchs, cercles, services postaux, gare automobiles, parcs à voitures, etc. »

Le dernier point du programme concernait la distribution dans toute la ville d’infrastructures d’éducation et de santé, très importantes pour le développement social de la ville :

« S. La répartition des écoles et des établissements hospitaliers sera étudiée en collaboration avec les services intéressés. »

Comme on le constate clairement d’après ces points du programme, Henri Prost   établit le plan directeur d’Istanbul à partir de trois principes majeurs : la circulation, l’hygiène et l’esthétique. Le plan directeur de la partie européenne d’Istanbul apporta, selon l’expression de l’urbaniste lui-même, un nouveau système de circulation ayant pour but de « vertébrer l’agglomération ». Les voies et les places à percer ou à élargir étaient les éléments les plus déterminants du plan. Parcs, lieux de promenade et terrains de sport furent planifiés à travers la création d’espaces verts tant la ville existante que dans de nouvelles zones de développement, pour permettre aux habitants de mener une vie plus saine. Quant à l’esthétique, dès le plan directeur, elle était déterminante dans tous les aménagements et à toutes les échelles.

Dans le rapport explicatif du plan directeur, Prost décrivit séparément les principes généraux de planification et les opérations urbaines envisagées pour la rive sud de la Corne d’Or (le Vieil Istanbul) et pour la rive nord (Galata-Péra).

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Le plan directeur du Vieil Istanbul
Le plan directeur du Vieil Istanbul proposait un nouveau réseau viaire aux alentours des artères principales qui traversaient la péninsule historique, ainsi que des partis pris importants concernant l’usage du sol dans certaines zones de la ville existante.

Ports et aires industrielles

Dans le plan directeur, Henri Prost ne réorganisait les quais de Sirkeci qu’« à titre temporaire ». Cependant, tenant compte des valeurs historiques et paysagères de ce secteur, il proposait une plateforme piétonne au-dessus des entrepôts du port, assurant la liaison avec le parc de Gülhane.
Dans la partie Galata-Péra (Beyoğlu) du plan directeur, les quais de Galata devaient être organisés de la même façon, conformément à une décision signée par Atatürk en 1935 . L’urbaniste avait pourtant proposé, dans ses rapports antérieurs au plan directeur, que le nouveau port d’Istanbul fût installé entre Yedikule et Bakırköy, sur les rives de la mer de Marmara, en liaison avec le chemin de fer d’Europe qui serait passé juste au nord de ce port . Mais les objections du ministère des Travaux publics à la localisation du port dans cette zone, et le principe même du plan directeur comme programme prévisionnel déterminant des opérations urbaines possibles, firent que Prost n’inclut finalement pas cette proposition dans le plan.

Prost avait aussi envisagé une vaste zone industrielle directement reliée aux voies maritimes et au chemin de fer au nord de ce port qu’il imaginait entre Yedikule et Bakırköy, et préconisait de déplacer dans l’avenir les grandes entreprises industrielles dans cette zone. Mais, dans les années 1930, petites et grandes entreprises industrielles publiques et privées s’étaient déjà développées dans la Corne d’Or et ses environs. L’urbaniste pensait que les conditions économiques de l’époque ne permettraient pas à brève échéance de déplacer l’industrie vers un autre lieu. Il s’orienta donc vers une réorganisation de la zone industrielle préexistante autour de la Corne d’Or.

Il proposa des solutions pour rationaliser la localisation de l’industrie et pour améliorer les possibilités de transport. Il espérait réduire les effets négatifs pour la ville en maintenant les zones industrielles à l’ouest du pont Atatürk . Il prévoyait pour cela d’éloigner autant que possible de la ville les industries les plus polluantes en les déplaçant tout à l’ouest de la Corne d’Or. L’objectif était de donner accès aux équipements industriels qui se trouvaient à l’ouest du pont Atatürk en créant deux grandes artères automobiles suivant les deux rives de la Corne d’Or, et de réorganiser d’une manière plus rationnelle les infrastructures industrielles le long de ces deux voies.

Commerce et quartier central des affaires

Dans le plan directeur, les espaces traditionnels du commerce  furent en grande partie réorganisés. Prost pensait que le Grand Bazar, s’il était à la fois restauré et modernisé selon les standards de l’époque, conserverait son importance dans l’activité commerciale de la ville grâce au développement des infrastructures de transport . Le commerce alimentaire de gros et de détail qui assurait l’approvisionnement de la ville devait aussi être réorganisé dans sa zone traditionnelle,  sur les rives de la Corne d’Or, d’Eminönü à Unkapanı. Les halles aux fruits et légumes et le marché au poisson, doté d’une technologie moderne, devaient être les premiers éléments de la réorganisation du commerce dans cette zone.

Considérant que la formation des zones commerciales dans les villes était due à la permanence dans la durée de certaines conditions, Prost pensait qu’on ne pouvait déplacer librement les espaces du commerce d’un point de la ville à un autre. C’est pourquoi, tout en conservant les pôles des affaires d’Istanbul à leur place traditionnelle, il préféra développer l’accès à ces zones. L’ouverture de voies nouvelles entre Eminönü et la place de Sultanahmet et Beyazit en passant par Sirkeci avait pour but de faciliter l’accès au quartier des affaires.

Le réseau des transports urbains

L’occupation urbaine d’Istanbul se répartit entre trois zones distinctes : le Vieil Istanbul, Beyoğlu et Üsküdar-Kadıköy sur la rive asiatique. Cette situation avait pour conséquence d’importants problèmes de transport dans une ville dont la population n’atteignait pourtant pas encore un million d’habitants. Prost soulignait donc que le but principal de son plan directeur était de connecter les nouvelles zones de développement, au nord, à la ville historique et au quartier des affaires par le moyen d’une « colonne vertébrale ».

Cette réorganisation devait se faire grâce à une infrastructure autoroutière et à un réseau viaire destinés au trafic automobile rapide dans la ville. Le plan directeur réaménageait le réseau viaire en reliant les nouvelles zones de développement et le centre historique à travers un axe principal constitué de deux autoroutes.

Le boulevard Atatürk constituait l’une des sections de l’artère principale qui devait relier, suivant une ligne nord-sud, la ville historique au nouveau centre qui se développait dans les environs de Taksim. Il traversait la péninsule historique du nord au sud. Au sud, il devait se terminer sur une place située devait la nouvelle gare internationale de Yenikapı.

Le plan directeur donnait une grande importance à cette gare internationale et aux quais de ferry-boat prévus à proximité immédiate, sur les rives de la mer de Marmara. La gare était conçue comme le terminus principal du chemin de fer d’Europe. Le port des ferry-boat devait assurer le transport des trains par voie maritime vers Haydarpaşa sur la côte asiatique, reliant ainsi le chemin de fer d’Europe à celui d’Anatolie (Asie).

Dans ce plan de détail, Prost proposait de percer non seulement le boulevard Atatürk mais aussi de nombreuses avenues nouvelles afin de faciliter le transport dans la ville historique.

La deuxième artère qui, suivant une ligne nord-sud, devait relier le pont de Galata à la péninsule historique, rejoignait, par deux voies parallèles, la zone commerciale historique à partir d’Eminönü. Commençant avec la Divanyolu, au niveau de la place de Sultanahmet, la voie déjà existante se séparait en trois voies à partir de la place formée devant la külliye de Murat Paşa à Aksaray.  Parmi elles, celle du sud rejoignait le boulevard en corniche qui, le long de la côte, se dirigeait vers Yedikule. Celle du nord, qui suivait la plaine de Yenibahçe, se terminait sur la place prévue devant l’entrée du parc n° 1 proposé dans cette zone. Dans ce plan, l’avenue qui s’étendait au milieu, portait le nom de « route d’Istanbul-Edirne-Londres ». Prost conçut cette voie comme le principal axe assurant les liaisons interurbaines et internationales d’Istanbul, comme le départ d’une autoroute internationale qui atteindrait Londres en passant le port d’Ostende en Belgique. Dans le rapport de 1937, les deux avenues apparaissaient sous les noms de Vatan (« Patrie ») et de Millet (« Nation ») .

Dans le plan directeur de 1937, une autre voie importante était celle de la côte qui, à partir de Sarayburnu, s’étendait tout au long de la côte de la mer de Marmara. Dans le rapport, l’urbaniste écrivait qu’avec sa vue panoramique sur la mer et la perspective sur le Bosphore à partir de Sarayburnu, ce « boulevard du Front de mer »  allait devenir une promenade exceptionnelle à Istanbul . La voie sur la côte aboutissait à l’esplanade à créer devant la gare internationale, à l’intersection avec le boulevard Atatürk. Ensuite, la route Yenikapı-Yedikule, conçue en boulevard de corniche, devait longer la côte et assurer le transport jusqu’aux banlieues, à l’aéroport et aux plages de Florya.

La création d’une place était également proposée au point de rencontre entre le pont Atatürk et le boulevard Atatürk. La rencontre de ce dernier et de deux autres avenues nouvelles sur cette place formait une patte d’oie. L’une de ces avenues traversait en diagonale un quartier ancien vers le « quartier universitaire », qu’elle rejoignait sous la külliye de la Süleymaniye à Beyazit, tandis que l’autre rejoignait, elle aussi en diagonale, la külliye de Fatih. Dans la suite de cette voie était proposée une « voie de tourisme » qui devait traverser des quartiers historiques, des pentes de la Corne d’Or vers le nord-ouest, en offrant des vues panoramiques sur la mosquée du sultan Selim et la mosquée de Fethiye. Une branche se terminait à Balat, l’autre branche à Edirnekapı. Une autre voie côtière était prévue à partir du port de Sirkeci, le long de la Corne d’Or, en direction d’Eyüp. Elle assurait le transport jusqu’aux bâtiments d’approvisionnement  (la halle aux poissons, le marché aux fruits et légumes), et de là, servait les équipements industriels installés sur la Corne d’Or. Henri Prost estimait que le Vieil Istanbul se prêtait à la création de quartiers d’habitation de hauteur modérée noyés dans la verdure, qui offriraient les meilleures conditions physiques et psychologiques à leurs habitants. D’après lui, la zone avait un nombre de rues trop élevé, dû à des lotissements médiocres aux parcelles excessivement petites, effectués notamment à la suite des incendies . C’est pour cette raison qu’il fallait, dans de nombreux quartiers, réaménager les rues et le parcellaire de manière rationnelle. Outre les nombreuses percées qu’il proposait pour faciliter les transports dans la péninsule historique, l’urbaniste prévoyait donc aussi l’intégration des bâtiments pour obtenir « un nouveau profil de l’îlot en rapport avec l’importance, la largeur et l’esthétique de chaque avenue. » Cela signifiait un réaménagement de l’ensemble du tissu urbain historique du Vieil Istanbul.

Les espaces libres

Les espaces libres du Vieil Istanbul tenaient une place importante dans le plan directeur. Parmi ceux-ci, deux grands parcs attirent l’attention, aussi bien par l’aire qu’ils devaient occuper que par les fonctions particulières qu’ils devaient remplir. Dans la vaste zone qui s’étendait de Sarayburnu au sud de Sultanahmet, le Parc archéologique fut conçu comme un musée en plein air constituant une promenade dotée d’un paysage pittoresque. À l’autre extrémité de la ville historique, l’aménagement d’un grand parc était prévu de part et d’autre de la vallée de Yenibahçe, le long de la rivière de Bayrampaşa, allant des murailles terrestres vers l’intérieur de la ville. Dénommé plus tard « parc n° 1 », il portait le nom de « Parc éducatif » dans le plan directeur, ce qui était traduit Kültürpark (« Parc de la culture ») dans la copie turque du plan. Dans le plan, l’avenue de Vatan se terminait sur une grande place à l’entrée du parc, puis se poursuivait vers les murailles comme une promenade à l’intérieur du parc.

Prost défendait la nécessité d’inclure un stade olympique dans la planification des aires de sport qui prendraient place à l’avenir dans ce parc, en prévision de l’éventuelle organisation de Jeux olympiques à Istanbul. Bien que la volonté des autorités fût d’aménager un hippodrome à Yenibahçe, à l’intérieur des murailles, Prost proposa dans le plan directeur, de le placer toujours dans la même vallée mais à l’extérieur des murailles. La bande de 500 mètres le long des murailles terrestres qu’il désigna comme non aedificandi formait une partie de la structure verte qu’il introduisit avec ce plan.

Le plan directeur prévoyait encore l’aménagement de nombreux parcs et squares dans les différents quartiers de la ville historique. Les parcs étaient aussi bien des éléments indispensables de l’esthétique urbaine que la base d’un environnement urbain hygiénique. Parmi l’aménagement des places proposées dans le rapport du plan directeur, le réaménagement de la place de Sultanahmet en place de la République, ou celui du Forum Tauri historique avec l’Arc de triomphe de Théodose sur la place de Beyazit, constituaient des projets qui avaient pour but la création d’espaces publics représentant aussi bien les valeurs républicaines que l’histoire impériale de la ville.

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Le plan directeur de Galata-Péra (Beyoğlu)
Au nord de la Corne d’Or, dans les rues étroites de Galata-Péra (Beyoğlu), les constructions élevées abritaient une forte densité de population. Pour assainir la zone et y améliorer les transports, Prost prévoyait une série d’opérations à mener à bien par étapes . De nouveaux quartiers d’habitation devaient d’abord être créés. Une fois les habitants des quartiers anciens transférés dans ces nouveaux immeubles, les étages supérieurs des édifices vidés seraient expropriés puis démolis, et les rues seraient élargies, afin d’apporter de la lumière naturelle à ces quartiers anciens. Alors que Prost estimait suffisant d’élargir certaines rues à Péra, il pensait qu’il fallait reconstruire intégralement la zone de Galata.

Les nouvelles zones résidentielles était prévues dans des aires bien précises, choisies en fonction de leur facilité d’accès et de l’état des terrains. La première se trouvait sur les pentes de la colline située entre Taksim et Maçka.  Elle fut planifiée en partie sur l’emplacement d’un cimetière arménien s’étendant de Taksim à Harbiye, à 60-80 m au-dessus du niveau de la mer. Un vaste parc autour de la colline formait le centre de la nouvelle zone résidentielle. Il fut prévu que cette zone verte, ultérieurement nommée parc n° 2, comprendrait des espaces de sport qui serviraient aux nouvelles zones résidentielles . Une deuxième nouvelle zone, dans un lieu analogue au premier, fut proposée dans les environs de la profonde vallée située entre Maçka et Beşiktaş. Dans cette zone aussi, il fut prévu d’aménager un parc et des terrains de sport dans le fond de la vallée et de placer des zones résidentielles sur les hauteurs, dans les pentes. Une troisième nouvelle zone de développement était envisagée au-dessus de Kasımpaşa, sur les pentes de Kurtuluş. Il était prévu qu’un viaduc relie directement cette zone à la place de Taksim.
Les transports urbains à Beyoğlu : autoroutes, viaducs et tunnels
En raison de la topographie très mouvementée de cette zone, Prost prévoyait de faire construire des viaducs et des tunnels comme voies de transport principales. Il proposa la même solution pour l’autoroute qu’il pensait faire passer par les quartiers de Galata historique et de Péra (Beyoğlu). Le trafic routier pourrait passer ainsi rapidement à travers les quartiers constitués, évitant les coûteuses expropriations qui seraient nécessaires pour percer ces voies dans le tissu urbain . Ces ouvrages d’art seraient grâce à des prêts consentis aux ingénieurs et aux entreprises de construction  : « La jeune République pourra ainsi rapidement montrer le vrai visage de sa jeunesse active et réalisatrice. »

Dans le plan directeur de Galata-Beyoğlu, Prost proposa l’ouverture d’une nouvelle voie qui, dans le prolongement du boulevard et du pont Atatürk, joindrait Şişhane à Tepebaşı, puis à Taksim. La ligne directe de transport ainsi constituée de Yenikapı à Taksim avait pour but de relier la ville historique au nouveau centre. Une fois l’ensemble terminé, cette artère rapide permettrait de se rendre sans interruption de Taksim à la gare internationale de Yenikapı, et même jusqu’en dehors de la ville, grâce à la route qui longeait la mer. Durant la mandature de Lütfi Kırdar à la mairie, l’avenue Refik Saydam fut ainsi ouverte ; l’ouverture de l’avenue de Tarlabaşı n’eut lieu que 40 ans plus tard, sous la mandature de Bedrettin Dalan.

À partir du pont Atatürk, comme sur la rive sud, l’ouverture et le prolongement de la voie côtière le long de la rive nord de la Corne d’Or avaient pour but d’améliorer l’accès aux abattoirs de Sütlüce et aux équipements de cette zone. En revanche, en aménageant un « quai public » sur la bande côtière qui se trouvait entre les deux ponts, l’urbaniste prévoyait de développer dans cette zone des équipements sociaux incluant une piscine en plein air, pour les ouvriers du port et des chantiers navals .

En vue toujours de relier le nouveau centre au centre historique et pour renforcer l’axe principal de l’agglomération, Prost proposa une deuxième liaison principale entre Taksim et le pont de Galata. Le tissu urbain étant très dense dans cette zone, il prévoyait, une fois encore, la réalisation de cette connexion au moyen de plusieurs tunnels et viaducs, pour réduire au maximum les expropriations. Cette autoroute prévue entre Tophane et Taksim fit l’objet d’un projet détaillé des contours et des courbes de la route.

L’avenue Cumhuriyet, qui partait de Taksim en direction du nord-ouest, et la rocade qui descendait vers Dolmabahçe en passant par Taksim, Ayazağa et Gümüşsuyu (une double voie séparée par un large terre-plein planté d’arbres) constituaient des branches de l’axe principal qui rejoignaient les nouvelles zones de développement s’étendant vers le nord de la ville. En réalité, ces deux avenues étaient des branches qui permettaient d’établir la connexion entre la place de Taksim et les deux grandes voies que Prost nommait « corniche supérieure » et « corniche inférieure », à implanter parallèlement au Bosphore. La corniche inférieure était une route côtière, que Prost proposait d’ouvrir en élargissant celle qui existait de Karaköy à Büyükdere le long du Bosphore. La corniche supérieure, quant à elle, devait relier les hauteurs de Taksim à Harbiye, puis à l’avenue Büyükdere. La corniche inférieure rejoignait la corniche supérieure en passant par le parc n° 2 à Dolmabahçe. Prost soulignait qu’il avait déterminé les trajets de ces connexions à l’intérieur du parc en prenant en compte les points de vue sur le Bosphore. Par ailleurs, pour faciliter les transports entre Taksim et les quartiers déjà existants autour de Kurtuluş, il étudia encore une connexion autoroutière. Il pensait ici encore surmonter les obstacles de la topographie grâce à des viaducs et des tunnels. Son projet de parking situé sous le viaduc montre qu’il estimait que les fonctions commerciales étaient destinées à se développer du centre urbain vers ce secteur.

Henri Prost considérait l’utilisation généralisée de l’automobile comme nécessaire à la « liberté individuelle », et voyait, à côté du transport autoroutier, l’avion comme la forme de transport la plus importante à l’avenir. Il pensait aussi que les hydravions tiendraient un rôle important dans les relations entre Istanbul et les autres ports . L’utilisation de la technologie moderne dans le système des transports apparaît comme un thème important dans tous ses rapports, dès 1936 et jusqu’à son départ en 1951.

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F. Cânâ Bilsel
haut de page
Pour les hydravions, hormis l’aéroport de Yeşilköy,  la construction d’un autre aéroport est discutée. H. Prost, « Aviation et Hydraviation » (note n° 265), « Eléments d’étude recueillis auprès de personnalités étrangères » (note n° 349, 20 novembre 1944), Les transformations d’Istanbul. VI. Circulation – Aviation, pages 45-54 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur – Pera-Galata », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, page 48 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur », « Principes généraux de l’aménagement », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, pages 12-13 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur », « Principes généraux de l’aménagement », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, page10 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur », « Principes généraux de l’aménagement », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, pages 8-11 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Champ de Courses », (note n° 10, 22 novembre 1936), Les transformations d'Istanbul. I. Documentation 1936-1938, pages 53-54 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur », « Principes généraux de l’aménagement », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, pages 7-8 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur – Viel Istanbul », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, pages 32-33 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Plan directeur – Viel Istanbul », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, page 34 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Le Çarşı et l’urbanisation » (note n° 14, 25 novembre 1936), Les transformations d'Istanbul. I. Documentation 1936-1938, pages 45-47 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
On peut tenir Prost pour responsable de la forte pollution environnementale de la Corne d’Or, surtout dans la 2e moitié du XXe siècle, en raison des décisions qu’il a prises concernant la planification. L’urbaniste s’était déjà aperçu de ce problème et avait proposé qu’un système de canalisation, qui séparerait l’eau de pluie des eaux usées lors d’éventuelles inondations, soit construit de manière à encercler la Corne d’Or. Cependant à l’époque, cette proposition n’avait pas pu être appliquée. H. Prost, « Note au sujet de la Corne d’Or », (note n° 7), Les transformations d'Istanbul. I. Documentation 1936-1938, pages 30-32 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Chemin de fer » (note n° 4, 25 octobre 1937), Les transformations d'Istanbul. I. Documentation 1936-1938, pages 17-18 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Note au sujet du port d’Istanbul Rive Européenne » (note n° 20, 10 août 1937), Les transformations d'Istanbul. I. Documentation 1936-1938, pages 24-29 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Mémoire descriptif du plan directeur de la rive européenne d’Istanbul », « Programme », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, pages 2-6 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Mémoire descriptif du plan directeur de la rive européenne d’Istanbul », « Programme », Les transformations d’Istanbul. III. Plans Directeurs, page 1 (Académie d'architecture/Archives d'architecture du XXe siècle, Cité de l'architecture et du patrimoine, fonds Henri Prost HP.ARC.30/1).
H. Prost, « Urbanisme », dans « Les transformations d’Istanbul », communication présentée devant l’Académie des Beaux-Arts à Paris le 17 septembre 1947, page 18.