Le plan directeur du Vieil Istanbul

Le plan directeur du Vieil Istanbul proposait un nouveau réseau viaire aux alentours des artères principales qui traversaient la péninsule historique, ainsi que des partis pris importants concernant l’usage du sol dans certaines zones de la ville existante.
Ports et aires industrielles
Dans le plan directeur, Henri Prost ne réorganisait les quais de Sirkeci qu’« à titre temporaire ».

Cependant, tenant compte des valeurs historiques et paysagères de ce secteur, il proposait une plateforme piétonne au-dessus des entrepôts du port, assurant la liaison avec le parc de Gülhane.

Dans la partie Galata-Péra (Beyoğlu) du plan directeur, les quais de Galata devaient être organisés de la même façon, conformément à une décision signée par Atatürk en 1935

. L’urbaniste avait pourtant proposé, dans ses rapports antérieurs au plan directeur, que le nouveau port d’Istanbul fût installé entre Yedikule et Bakırköy, sur les rives de la mer de Marmara, en liaison avec le chemin de fer d’Europe qui serait passé juste au nord de ce port

. Mais les objections du ministère des Travaux publics à la localisation du port dans cette zone, et le principe même du plan directeur comme programme prévisionnel déterminant des opérations urbaines possibles, firent que Prost n’inclut finalement pas cette proposition dans le plan.
Prost avait aussi envisagé une vaste zone industrielle directement reliée aux voies maritimes et au chemin de fer au nord de ce port qu’il imaginait entre Yedikule et Bakırköy, et préconisait de déplacer dans l’avenir les grandes entreprises industrielles dans cette zone. Mais, dans les années 1930, petites et grandes entreprises industrielles publiques et privées s’étaient déjà développées dans la Corne d’Or et ses environs. L’urbaniste pensait que les conditions économiques de l’époque ne permettraient pas à brève échéance de déplacer l’industrie vers un autre lieu. Il s’orienta donc vers une réorganisation de la zone industrielle préexistante autour de la Corne d’Or.
Il proposa des solutions pour rationaliser la localisation de l’industrie et pour améliorer les possibilités de transport. Il espérait réduire les effets négatifs pour la ville en maintenant les zones industrielles à l’ouest du pont Atatürk

. Il prévoyait pour cela d’éloigner autant que possible de la ville les industries les plus polluantes en les déplaçant tout à l’ouest de la Corne d’Or. L’objectif était de donner accès aux équipements industriels qui se trouvaient à l’ouest du pont Atatürk en créant deux grandes artères automobiles suivant les deux rives de la Corne d’Or, et de réorganiser d’une manière plus rationnelle les infrastructures industrielles le long de ces deux voies.
Commerce et quartier central des affaires
Dans le plan directeur, les espaces traditionnels du commerce furent en grande partie réorganisés. Prost pensait que le Grand Bazar, s’il était à la fois restauré et modernisé selon les standards de l’époque, conserverait son importance dans l’activité commerciale de la ville grâce au développement des infrastructures de transport

.

Le commerce alimentaire de gros et de détail qui assurait l’approvisionnement de la ville devait aussi être réorganisé dans sa zone traditionnelle, sur les rives de la Corne d’Or, d’Eminönü à Unkapanı. Les halles aux fruits et légumes et le marché au poisson, doté d’une technologie moderne, devaient être les premiers éléments de la réorganisation du commerce dans cette zone.
Considérant que la formation des zones commerciales dans les villes était due à la permanence dans la durée de certaines conditions, Prost pensait qu’on ne pouvait déplacer librement les espaces du commerce d’un point de la ville à un autre. C’est pourquoi, tout en conservant les pôles des affaires d’Istanbul à leur place traditionnelle, il préféra développer l’accès à ces zones. L’ouverture de voies nouvelles entre Eminönü et la place de Sultanahmet et Beyazit en passant par Sirkeci avait pour but de faciliter l’accès au quartier des affaires.
Le réseau des transports urbains
L’occupation urbaine d’Istanbul se répartit entre trois zones distinctes : le Vieil Istanbul, Beyoğlu et Üsküdar-Kadıköy sur la rive asiatique. Cette situation avait pour conséquence d’importants problèmes de transport dans une ville dont la population n’atteignait pourtant pas encore un million d’habitants. Prost soulignait donc que le but principal de son plan directeur était de connecter les nouvelles zones de développement, au nord, à la ville historique et au quartier des affaires par le moyen d’une « colonne vertébrale ».
Cette réorganisation devait se faire grâce à une infrastructure autoroutière et à un réseau viaire destinés au trafic automobile rapide dans la ville. Le plan directeur réaménageait le réseau viaire en reliant les nouvelles zones de développement et le centre historique à travers un axe principal constitué de deux autoroutes.
Le boulevard Atatürk constituait l’une des sections de l’artère principale qui devait relier, suivant une ligne nord-sud, la ville historique au nouveau centre qui se développait dans les environs de Taksim. Il traversait la péninsule historique du nord au sud. Au sud, il devait se terminer sur une place située devait la nouvelle gare internationale de Yenikapı.
Le plan directeur donnait une grande importance à cette gare internationale et aux quais de ferry-boat prévus à proximité immédiate, sur les rives de la mer de Marmara. La gare était conçue comme le terminus principal du chemin de fer d’Europe. Le port des ferry-boat devait assurer le transport des trains par voie maritime vers Haydarpaşa sur la côte asiatique, reliant ainsi le chemin de fer d’Europe à celui d’Anatolie (Asie).
Dans ce plan de détail, Prost proposait de percer non seulement le boulevard Atatürk mais aussi de nombreuses avenues nouvelles afin de faciliter le transport dans la ville historique.
La deuxième artère qui, suivant une ligne nord-sud, devait relier le pont de Galata à la péninsule historique, rejoignait, par deux voies parallèles, la zone commerciale historique à partir d’Eminönü. Commençant avec la Divanyolu, au niveau de la place de Sultanahmet, la voie déjà existante se séparait en trois voies à partir de la place formée devant la
külliye de Murat Paşa à Aksaray. Parmi elles, celle du sud rejoignait le boulevard en corniche qui, le long de la côte, se dirigeait vers Yedikule. Celle du nord, qui suivait la plaine de Yenibahçe, se terminait sur la place prévue devant l’entrée du parc n° 1 proposé dans cette zone. Dans ce plan, l’avenue qui s’étendait au milieu, portait le nom de « route d’Istanbul-Edirne-Londres ». Prost conçut cette voie comme le principal axe assurant les liaisons interurbaines et internationales d’Istanbul, comme le départ d’une autoroute internationale qui atteindrait Londres en passant le port d’Ostende en Belgique. Dans le rapport de 1937, les deux avenues apparaissaient sous les noms de
Vatan (« Patrie ») et de
Millet (« Nation »)

.
Dans le plan directeur de 1937, une autre voie importante était celle de la côte qui, à partir de Sarayburnu, s’étendait tout au long de la côte de la mer de Marmara. Dans le rapport, l’urbaniste écrivait qu’avec sa vue panoramique sur la mer et la perspective sur le Bosphore à partir de Sarayburnu, ce « boulevard du Front de mer » allait devenir une promenade exceptionnelle à Istanbul

. La voie sur la côte aboutissait à l’esplanade à créer devant la gare internationale, à l’intersection avec le boulevard Atatürk.

Ensuite, la route Yenikapı-Yedikule, conçue en boulevard de corniche, devait longer la côte et assurer le transport jusqu’aux banlieues, à l’aéroport et aux plages de Florya.
La création d’une place était également proposée au point de rencontre entre le pont Atatürk et le boulevard Atatürk. La rencontre de ce dernier et de deux autres avenues nouvelles sur cette place formait une patte d’oie. L’une de ces avenues traversait en diagonale un quartier ancien vers le « quartier universitaire », qu’elle rejoignait sous la
külliye de la Süleymaniye à Beyazit, tandis que l’autre rejoignait, elle aussi en diagonale, la
külliye de Fatih. Dans la suite de cette voie était proposée une « voie de tourisme » qui devait traverser des quartiers historiques, des pentes de la Corne d’Or vers le nord-ouest, en offrant des vues panoramiques sur la mosquée du sultan Selim et la mosquée de Fethiye. Une branche se terminait à Balat, l’autre branche à Edirnekapı. Une autre voie côtière était prévue à partir du port de Sirkeci, le long de la Corne d’Or, en direction d’Eyüp. Elle assurait le transport jusqu’aux bâtiments d’approvisionnement (la halle aux poissons, le marché aux fruits et légumes), et de là, servait les équipements industriels installés sur la Corne d’Or. Henri Prost estimait que le Vieil Istanbul se prêtait à la création de quartiers d’habitation de hauteur modérée noyés dans la verdure, qui offriraient les meilleures conditions physiques et psychologiques à leurs habitants. D’après lui, la zone avait un nombre de rues trop élevé, dû à des lotissements médiocres aux parcelles excessivement petites, effectués notamment à la suite des incendies

. C’est pour cette raison qu’il fallait, dans de nombreux quartiers, réaménager les rues et le parcellaire de manière rationnelle. Outre les nombreuses percées qu’il proposait pour faciliter les transports dans la péninsule historique, l’urbaniste prévoyait donc aussi l’intégration des bâtiments pour obtenir « un nouveau profil de l’îlot en rapport avec l’importance, la largeur et l’esthétique de chaque avenue. » Cela signifiait un réaménagement de l’ensemble du tissu urbain historique du Vieil Istanbul.
Les espaces libres
Les espaces libres du Vieil Istanbul tenaient une place importante dans le plan directeur. Parmi ceux-ci, deux grands parcs attirent l’attention, aussi bien par l’aire qu’ils devaient occuper que par les fonctions particulières qu’ils devaient remplir. Dans la vaste zone qui s’étendait de Sarayburnu au sud de Sultanahmet, le Parc archéologique fut conçu comme un musée en plein air constituant une promenade dotée d’un paysage pittoresque.

À l’autre extrémité de la ville historique, l’aménagement d’un grand parc était prévu de part et d’autre de la vallée de Yenibahçe, le long de la rivière de Bayrampaşa, allant des murailles terrestres vers l’intérieur de la ville. Dénommé plus tard « parc n° 1 », il portait le nom de « Parc éducatif » dans le plan directeur, ce qui était traduit
Kültürpark (« Parc de la culture ») dans la copie turque du plan. Dans le plan, l’avenue de Vatan se terminait sur une grande place à l’entrée du parc, puis se poursuivait vers les murailles comme une promenade à l’intérieur du parc.
Prost défendait la nécessité d’inclure un stade olympique dans la planification des aires de sport qui prendraient place à l’avenir dans ce parc, en prévision de l’éventuelle organisation de Jeux olympiques à Istanbul. Bien que la volonté des autorités fût d’aménager un hippodrome à Yenibahçe, à l’intérieur des murailles, Prost proposa dans le plan directeur, de le placer toujours dans la même vallée mais à l’extérieur des murailles.

La bande de 500 mètres le long des murailles terrestres qu’il désigna comme
non aedificandi formait une partie de la structure verte qu’il introduisit avec ce plan.
Le plan directeur prévoyait encore l’aménagement de nombreux parcs et squares dans les différents quartiers de la ville historique. Les parcs étaient aussi bien des éléments indispensables de l’esthétique urbaine que la base d’un environnement urbain hygiénique. Parmi l’aménagement des places proposées dans le rapport du plan directeur, le réaménagement de la place de Sultanahmet en place de la République, ou celui du
Forum Tauri historique avec l’Arc de triomphe de Théodose sur la place de Beyazit, constituaient des projets qui avaient pour but la création d’espaces publics représentant aussi bien les valeurs républicaines que l’histoire impériale de la ville.