1945-1988
1963-1967. Freie Universität, Berlin
Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods, architectes
En 1963, l'agence parisienne Candilis, Josic et Woods remporte le concours pour la réalisation à Berlin d'une université de philologie, littérature et histoire. Deux ans après la construction du mur qui sépare la ville en deux, Berlin Ouest, encerclée, veut se doter d'une université symbole de liberté, de flexibilité et d'ouverture. La construction débute en 1967 sur un terrain situé au sud-ouest de Berlin, dans la banlieue aisée de Dahlem. S'inspirant à la fois de l'architecture de la médina et du tracé cartésien de la ville américaine, l'agence Candilis conçoit une vaste structure horizontale à deux étages de 320 mètres sur 170, ordonnancée autour d'un réseau de rues intérieures, conçues comme des « centres linéaires ». Les choix constructifs : préfabrication, industrialisation, façades en acier Corten conçues par Jean Prouvé à partir du Modulor (le système de mesure conçu par Le Corbusier), doivent permettre au bâtiment de se réinventer au fur et à mesure de la vie de l'université. Tant par le concept développé à l'occasion du concours que par son architecture effectivement originale qui rompt avec la logique monumentale et hiérarchique des palais de la Science, la Freie Universität de Berlin, projet et réalisation manifestes, devient instantanément un classique de l'histoire de l'architecture moderne d'après-guerre.

Au même moment se construit à Paris le campus de la Faculté des sciences de Jussieu. Sur une vaste parcelle en bordure de la Seine, l'architecte Édouard Albert opte également pour un plan en forme de gril qui doit lui aussi faciliter la flexibilité et la transversalité entre les disciplines. Mais alors qu'à Berlin Candilis, Josic et Woods revendiquent un bâtiment polycentrique et font du refus de toute monumentalité un manifeste (« Instrument, no monument »), à Paris, Albert implante l'administration centrale dans une tour de 90 mètres de hauteur qu'il érige au centre du campus.

Au début des années 1970, l'agence Candilis a jkjjkkkk
l'opportunité de développer en France le concept mûri à Berlin. L'université de Toulouse Le Mirail, construite entre 1967 et 1971, reproduit à une échelle réduite l'originale trame horizontale rythmée par une alternance de constructions basses et de patios. Comparé à Berlin, l'originalité du projet toulousain réside dans l'ambition sociale de connecter l'université aux quartiers populaires de la ville nouvelle du Mirail, dont l'agence Candilis est aussi le maître d'œuvre depuis 1961.

Au tournant des années 2000, les trois campus ont connu des destins différents. Jamais achevé et souvent critiqué, quoique généralement défendu par les historiens de l'architecture moderne, Jussieu a finalement été désamianté et complètement rénové, au prix d'un chantier pharaonique. Malgré les nombreux problèmes posés par la Freie Universität de Berlin dès sa mise en service et une flexibilité qui s'est avérée un leurre, le choix a été fait au milieu des années 1990 de sauvegarder le bâtiment d'origine et d'en confier la rénovation à l'agence Foster and Partners. La philosophie acéphale de l'édifice berlinois a cependant été sensiblement infléchie par un programme de rationalisation qui a permis aux instituts d'affirmer leur identité et qui a conduit à doter le campus d'une iconique bibliothèque, dont la forme extérieure n'est pas sans évoquer un cerveau. À Toulouse, après des hésitations et des controverses, les bâtiments de l'université du Mirail, grevés dès l'origine par de nombreuses malfaçons et en mauvais état, ont finalement été entièrement détruits. Si les architectes qui ont construit le nouveau campus toulousain, rebaptisé Jean-Jaurès, revendiquent une forme de fidélité au projet de l'agence Candilis, la Freie Universität de Berlin demeure désormais le seul témoin de l'architecture universitaire innovante du trio parisien. Rénovation et patrimonialisation d'un côté, reconstruction de l'autre : deux façons différentes de faire face au vieillissement du bâti des années 1960 et d'assumer l'héritage d'une des agences phares de la modernité.
Julien Brault
- Bénédicte Chaljub, Candilis, Josic & Woods, Paris, Éditions du Patrimoine, 2010, collection Carnets d’architectes n° 5
- Le Carré bleu, n° 1, 1999, « Pérennité d'une utopie », pages 4 à 29 (voir la revue)