1945-1988
1962. Projet d'aménagement de Mehringplatz, Berlin
Eugène Beaudouin, architecte
« Qu'est-ce qu'une place [?] Un lieu de rencontre pour les piétons. » La citation est tirée du carnet d'Eugène Beaudouin (1898-1983). Elle constitue le centre de sa vision pour l'un des lieux les plus importants de Berlin. Bien que le carnet soit intitulé « Berlin II 1962 », la date « 1957 » apparaît sur certains feuillets et laisse penser qu'Eugène Beaudouin s'est intéressé à la reconstruction dès la parution des avis du concours Berlin Haupstadt. Il faut souligner que le carnet est articulé autour de dessins pour un îlot spécifique de la ville, et non pas dédié à l'urbanisme berlinois de manière globale. C'est donc que la reconstruction est fort avancée : la division des espaces à reconstruire en parcelles et quartiers irrigués par un nouveau réseau routier intervient bien après 1957. Les réflexions de l'architecte montrent d'ailleurs bien cet intérêt pour la distribution des flux automobiles dans ses projections les plus abouties.

Bien qu'il se soit beaucoup investi dans ses esquisses, il est douteux qu'Eugène Beaudouin n'ait jamais soumis de projet complet. En effet, le carnet des archives ne contient que des croquis et pas de véritables plans. La recherche à laquelle se livre cet architecte et urbaniste reconnu reste ainsi vraisemblablement personnelle. L'agencement de la place auquel il aboutit est similaire à certaines des idées de Marion Tournon-Branly : une spirale culminant sur un espace circulaire, inscrite dans un large îlot rectangulaire. Les deux architectes se connaissant et travaillant à Paris à la même époque, il est assez peu étonnant de voir une communauté d'esprit se manifester dans leurs réflexions. Il n'est pas non plus impossible qu'Eugène Beaudouin ait tout simplement échangé des idées avec son homologue, voire collaboré avec elle, si lui-même ne pouvait s'investir dans la reconstruction de Berlin.

Eugène Beaudouin décline sur plusieurs pages un large nombre d'agencements autour d'un espace central et circulaire, l'un des points névralgiques de la capitale : Mehringplatz, désignée dans le carnet comme Friedrichsplatz. De forme circulaire depuis sa création, Mehringplatz est un lieu d'échange et de rassemblement. L'îlot urbain travaillé par Beaudouin se situe directement entre le Landwehrkanal, un canal de la Spree, au sud, et la Friedrischstrasse, qui s'étend vers le nord, en direction du vieux centre impérial. En 1962, toutefois, le Mur coupe désormais la Friedrischstrasse là où est mis en place le fameux Checkpoint Charlie. Un croquis, notamment, représentant une vue vers le nord, permet de supposer qu'Eugène Beaudouin a représenté la ligne de fracture hhhh
par une ligne en dents de scie, rappelant à quel point Mehringplatz est un endroit crucial. On précisera que la représentation du Mur, érigé en août 1961, permet d'affirmer qu'un grand nombre des croquis date vraisemblablement d'une année ultérieure.

Les images du carnet de dessins d'Eugène Beaudouin montrent que parmi les nombreux agencements envisagés pour la Friedrichsplatz (actuelle Mehringplatz), la spirale prédomine. Tout en respectant les concepts-clefs d'un lieu ouvert, distribué autour d'un cercle, dégagé et accessible aux piétons, Beaudouin ménage un enroulement des espaces autour d'un disque central. Tel que le rêve Eugène Beaudouin, cet épicentre de Berlin-Ouest ne possède pas de barrières, et de même, bénéficie d'axes de vision larges, et clairs. Il n'est pas non plus couvert. La place idyllique dont rêve l'architecte a quelque chose d'une agora moderne. De cette idée, reste dans les croquis de Beaudouin le principe d'un plan d'eau, ou à défaut d'un espace vide, au milieu duquel s'élèverait, entre autres possibilités, un double de la colonne de la Friedenssäule ou colonne de la Paix. Depuis 1830, se trouvait en effet au milieu de Mehringplatz une colonne commémorative de la bataille de Waterloo, au cours de laquelle plusieurs pays s'étaient victorieusement unis contre Napoléon en une « Belle-Alliance ». La colonne avait été coiffée en 1843 d'une Victoire de Christian Daniel Rauch.

Eugène Beaudouin adopte le principe d'un espace entouré par des immeubles étroits, ce qui permet une vue dégagée vers le canal comme vers le reste de la ville. Dans un esprit commun aux capitales européennes durant les années 1960, cette place constituait un véritable hub, un lieu central intégré au réseau routier urbain par un nœud de promenades et de parkings souterrains. L'actuelle Mehringplatz, de Hans Scharoun, connaît un traitement plus rigide et monotone. Les bâtiments sont indistinctement soudés les uns aux autres, d'une hauteur égale, formant un ensemble peu aéré. De même, la perspective diverse imaginée par Eugène Beaudouin est remplacée par deux séries symétriques de logements arrangés en arc-de-cercle, de chaque côté de la Friedrichstrasse.

Les idées d'Eugène Beaudouin sont magnifiquement servies par un « coup de crayon » énergique, parfois coloré. La qualité du dessin ne va pas sans rappeler celui de Pierre Parat, qui avec son associé Michel Andrault – et sur le conseil de Beaudouin – collait de la même façon ses études dans des albums.
Dominic Ellison et Fayez Mahbouba