SHAPE village à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). 1951-1952
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À son retour de la villa Médicis, Jean Dubuisson se fait connaître par la réalisation du SHAPE Village. Destinée à loger les familles d’officiers d’état-major de l’OTAN (Supreme Headquarters Allied Powers in Europe), cette réalisation ne relève pas du logement social mais de l’habitat de standing. Elle a cependant sa place ici, car elle est une démonstration de la capacité de l’architecte à surmonter les contraintes de préfabrication au profit d’une offre esthétique, et un répertoire de ses préoccupations ultérieures. Le procédé Camus imposé par le maître d’ouvrage, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, est ici détourné et utilisé pour la première fois en refends porteurs, pour libérer la façade et offrir une lumière traversante.
Plébiscitée par la profession, cette opération constitue pour l’architecte un faire-valoir auprès des maîtres d’ouvrage, caution du renouvellement formel au sein des chantiers expérimentaux. Dubuisson met ici en œuvre des motifs qui feront sa marque de fabrique au cours des années 1950 : la disposition allongée des bâtiments au sein de la végétation qui éloigne les servitudes, la perméabilité de la lumière au sein de la façade grâce à de larges baies et des planchers minces. Dans les opérations de logement social présentées ici, l’architecte va toujours rechercher une lumière abondante qui constituera une plus-value au sein du logement populaire.
Résidence du Parc à Croix (Nord). 1950-1962
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Débutée en même temps que le SHAPE Village, la résidence du Parc, à Croix près de Roubaix, permet à Jean Dubuisson de mettre en œuvre ses conceptions dans le cadre d’une opération de logement social. Fidèle au plan compact – qui, outre le gain de place, traduit un goût manifeste pour les enfilades en séquences – l’architecte réalise à partir de 1950 le plan de masse d’une opération comprenant cinq bâtiments pour le compte du Comité Interprofessionnel du Logement (CIL) de Roubaix-Tourcoing, un organisme à but non lucratif qui collecte les cotisations patronales en faveur de la construction. Cet organisme pilote, dont l’expérience sera à l’origine de la contribution du 1% patronal (1953), réalise dès 1946 des cités expérimentales qui visent à offrir « un aménagement meilleur évitant à la ménagère toute fatigue inutile ».
Dans ces immeubles de faible hauteur, Dubuisson concentre son attention sur l’individualisation des espaces, en référence à la villa. Avec des rez-de-chaussée de plain-pied et des étages supérieurs formant duplex, il opte pour une graduation des espaces extérieurs et intérieurs, entre individuel et collectif. Comme au SHAPE, il sépare les parties jour et les parties nuit et opte pour l’aération traversante, avec une cuisine centrale permettant de combiner les passages et les regards. Dans les espaces collectifs comme dans les duplex, les escaliers forment une percée qui bénéficie de l’éclairage des travées vitrées ou des loggias.
Cette autonomie des espaces est dissimulée derrière une trame d’un dessin rigoureux qui trahit la formation classique acquise aux Beaux-Arts puis à la Villa Médicis. Du côté ensoleillé, la façade est unifiée par une succession de travées de quatre mètres de large et par des loggias, motifs emblématiques du logement social d’avant-garde. Elles viennent compartimenter les façades principales en quatre panneaux, tandis que les façades arrière, plates, sont scandées de bandeaux vitrés continus. Ce modernisme empreint d’un goût pour la composition et l’harmonie relevant d’un calepinage poussé est lisible sur les croquis de façade. Et, comme au SHAPE, sur ce site de 34 000 m², les bâtiments sont implantés de sorte que la végétation originelle soit préservée à 80%.
Quartier des Soupirs à Commercy (Meuse). 1952-1957
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Agréé architecte-reconstructeur en 1942, Dubuisson reçoit à Commercy, en Lorraine, à partir de 1952, la commande d’une opération d’envergure qui bénéficie d’un triple financement : l’État, pour les dommages de guerre, les Ponts et Chaussées pour la prise en charge du réseau viaire, et la Ville pour l’apport de terrains.
En raison de la déclivité du terrain, le premier bâtiment construit présente quatre niveaux de logements sur la façade antérieure et seulement deux à l’arrière. Le plain-pied est ici couronné d’un étage entièrement vitré qui met en exergue la légèreté du bâtiment, de même que le vitrage continu formé par les impostes des étages supérieurs. Les prismes de façade, couronnés d’impostes, sont disposés en quinconce et préservent les pièces humides des regards. L’alternance des prismes verticaux et des bandeaux vitrés horizontaux en font un édifice caractéristique de la recherche graphique menée par Dubuisson au début de sa carrière. Les rehauts de couleur rouge primaire recouvrant les portes d’entrée accentuent encore l’image d’une trame en « tissu écossais » qui caractérise son travail.
Restant fidèle au principe des refends porteurs et continuant de refuser les panneaux préfabriqués en béton pour la façade, il associe, de façon pragmatique, les parements de briques creuses formant parement et un matériau régional, la pierre de Savonnières, pour les pignons, seuls les refends et les semelles étant exécutés en béton. Finalement, compte tenu de divergences entre les partenaires, le grand ensemble projeté ne sera pas exécuté et Dubuisson ne réalisera qu’un immeuble pour le compte de l’Office départemental d’HLM.
Ensemble d’habitation des Basses Terres à Pierrefitte-Stains (Seine-Saint-Denis).
1954-1966
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Avec ses 920 logements, l’ensemble d’habitations de Pierrefitte-Stains met en évidence l’ampleur des solutions envisagées pour répondre à la crise du logement. Réalisé pour la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (SCIC), créée en 1954, ce « grand ensemble » fait pendant à celui de Sarcelles, contemporain et limitrophe. L’ambition de la SCIC est de travailler à une échelle intercommunale, permettant aux architectes de développer librement leurs conceptions. Dubuisson opte ainsi pour un plan de masse formé de barres de faible hauteur, dialoguant avec la cime des arbres.
Dans la deuxième tranche (1959), la linéarité des édifices est contrebalancée par des corps en retour formant des bâtiments en grecques, permettant d’éviter les servitudes de vue et de passage des vents. À nouveau non porteuses, les façades sont agrémentées de loggias qui viennent prolonger chaque appartement et qui tendent à rapprocher le logement social du logement de standing. Toujours dans une perspective de clarté et d’ouverture sur l’extérieur, les garde-corps  sont constitués d’un fin barreaudage tubulaire laissant passer la lumière.
La répétition des corps en retour implique l’interpénétration des espaces en angles, rentrants et saillants. À la distribution traversante, l’architecte adjoint donc des plans d’angle et emboîte deux appartements formant un « L » autour d’un escalier central et ouvrant sur une grande loggia.
Résidence Cormontaigne pour travailleurs célibataires à Thionville (Moselle). 1960-1962
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À Thionville comme à Commercy, l’essor de l’industrie sidérurgique au cours des Trente Glorieuses nécessite de réaliser des programmes d’habitation pour loger la main d’œuvre.
Le programme de « résidence-hôtel » Cormontaigne, destiné à loger les ouvriers célibataires de l’usine sidérurgique Sollac, est caractéristique de l’exercice de renouvellement formel auquel s’attelle Jean Dubuisson au tournant des années 1960.
Afin d’abriter 1200 chambres, l’horizontalité est abandonnée au profit de quatre volumes monumentaux de 12 étages, reliés par une galerie vitrée qui abrite les services, s’étageant sur 42 mètres de haut et disposés sur un terrain de 6 hectares.
En écho à l’activité sidérurgique, un mur-rideau en acier s’étend au rez-de-chaussée, tandis que la trame de 3 mètres correspondant à la largueur des chambres est réalisée grâce à des panneaux. Malgré la contrainte des normes Logéco, procédure financière de logements économiques et familiaux créée en 1953, l’architecte s’attache à offrir des services dignes d’un « hôtel ». Aux banquettes en bois africain et au sol en marbre de Carrare dans les espaces communs, s’ajoutent nombre d’usages modernes dont bénéficient les résidents : piscine, bibliothèques, salles de télévision, cafétéria, restaurant ouvert jour et nuit. Les chambres de 15 m² comprennent un grand nombre d’équipements intérieurs – des étagères au coffre-fort – tandis que le mobilier – fauteuil en skaï et table à piètement métallique – est conçu par l’architecte.
Ensemble d'habitation à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). 1960-1965
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En 1959, la création de la société anonyme intercommunale de construction et de gestion immobilière de la Côte basque (SOGIBA) permet à la ville de Biarritz d’acquérir un site de 3 hectares, dominant la côte basque et s’ouvrant sur la montagne.
Cette réalisation comprenant 298 logements répartis en trois bâtiments donne l’occasion à l’architecte, peu coutumier des sites de bord de mer, d’affronter de nouveaux terrains.
Malgré ces qualités, ce site est exposé aux vents et au relief : pour surmonter ces contraintes, Dubuisson s’efforce de ménager des vues et d’abriter les bâtiments. Un édifice de neuf étages vient ainsi protéger les bâtiments bas en grecque. Également réalisés dans le cadre des Logéco et de la prime à 10 francs, les bâtiments offrent des façades avec balcon du côté ensoleillé tandis que les chambres présentent de petites baies. Grâce à une ossature béton, l’architecte préserve les façades qui sont constituées de panneaux vitrés. Par souci d’homogénéisation des élévations au prix d’un effet d’optique, l’architecte crée une confusion entre les deux façades – les panneaux des façades plates imitant la trame géométrique formée par les loggias.
Ensemble d'habitation de La Caravelle à Villeneuve-la Garenne (Hauts-de-Seine).
1959-1967
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Tirant son nom de l’avion qui fut une icône technique, le grand ensemble de La Caravelle est un autre exemple de recherche monumentale menée par l’architecte au cours des années 1960. 1630 logements se répartissent dans un volume de 400 mètres de long, complété par trois autres barres. Ici, où les contraintes économiques ne permettent pas d’épaissir la façade avec des loggias, les élévations sont mises en relief par un travail graphique acharné. Le bâtiment présente, comme à Thionville et à Biarritz, un procédé de construction hybride, inspiré du mur-rideau. Fidèle au procédé des refends porteurs, Dubuisson opte pour des panneaux de façade qu’il dispose selon des critères libres, dans une perspective formelle, indépendamment des scansions des structures porteuses. Afin d’accentuer l’aspect flottant des bâtiments, conçus comme des objets picturaux, les panneaux reposent sur un rez-de-chaussée offrant un large vitrage.
Ensemble d'habitation à Uckange (Moselle). 1960-1969
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Rappelant les premières recherches de Jean Dubuisson, cet ensemble de 1500 logements destiné au personnel de la sidérurgie lorraine associe une tour de 17 niveaux à des immeubles de trois, quatre et cinq niveaux. Cette opération réalisée par la COFIMEG (Compagnie française d’investissements immobiliers et de gestion) est l’occasion de mises en œuvre techniques qui seront reprises pour l’immeuble Mouchotte, dans le cadre de l’opération Maine-Montparnasse, réalisé par le même maître d’ouvrage (1959-1968).
Tenant compte de la rotation jour-nuit des employés, Dubuisson cherche à éloigner les servitudes visuelles, en ménageant de larges espaces verts, ainsi que des corps de bâtiments en retour. À rebours de la radicalité du plan de masse initial de Villeneuve-la-Garenne, Dubuisson revient à ses recherches sur les bâtiments en grecque, plus conformes à son affection pour la sobriété des formes. Ces séquences sont accentuées par un passage sous porche pour relier les bâtiments, qui par ailleurs présentent un acrotère où se situent les locaux collectifs.
Les façades présentent des loggias en pignon (associant béton et brique) ainsi que des loggias animant toute la longueur des bâtiments, constituées d’allèges en béton. Cuisines et séjours s’ouvrent sur des loggias du côté ensoleillé mais, comme à Biarritz, le renfoncement des loggias est imité en façade arrière grâce à un parement de façade simulant une trame identique.
ZUP de Metz-Borny (Moselle). 1964-1972
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Reprenant un plan masse de l’architecte Félix Madeline, Dubuisson intervient en 1964 dans la zone à urbaniser en priorité (ZUP) de Metz-Borny, lancée en 1959, sur les hauteurs de la ville.
Pour ce programme de 5000 logements, au sein de ce qui forme l’une des plus grandes ZUP de France, l’architecte combine des barres de quatre niveaux avec cinq tours d’une centaine de logements chacune. Sur les barres, l’orthogonalité est formée par les revêtements de façade d’un blanc immaculé qui font écho à l’opération parisienne des logements de standing du boulevard Pasteur.
Les immeubles hauts contrastent avec les longues barres d’habitation couvertes de céramique brune, entrecoupée de lignes blanches qui soulignent la longueur spectaculaire du bâtiment. Le plus souvent, Dubuisson y privilégie la lumière traversante.
Autres ensembles de Jean Dubuisson au cours des années 1960 :
Agen (Lot-et-Garonne), Chambéry (Savoie) et Roanne (Loire)
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Au cours des années 1960, Dubuisson mène des opérations aux dimensions très diverses : de 4000 logements réalisés dans la ZUP de Chambéry – pourtant incomplètement menée à bien – à 200 à Roanne. Il s’attache à décliner un savoir-faire  : travail d’adaptation au terrain sur les hauteurs de Metz ou d’Agen, recherche d’élégance en façade (formes courbes à Roanne où les valeurs chromatiques rappellent Metz-Borny). L’arrêt des ZUP en 1967 et la critique du modernisme à la fin des années 1960 conduiront à un ralentissement des commandes dans les années 1970.
Postérité de l'œuvre de Jean Dubuisson
Depuis leur livraison, on constate des différences d’intérêt porté aux édifices. Alors que plusieurs bâtiments culturels, religieux ou immeubles privés de Jean Dubuisson, bien que moins menacés, ont été pris en compte par le label Patrimoine du XXe siècle, les ensembles de logement social demeurent inégalement reconnus. Les disparitions du second œuvre (Croix) et les démolitions totales ou partielles avec additions en façade (Villeneuve-la-Garenne, Commercy) ont altéré la légèreté originelle des réalisations. Si la prise en compte a parfois été trop tardive (résidence de Thionville, détruite après inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques), d’autres ont pourtant fait l’objet de réhabilitation attentive (Roanne) et un ensemble a reçu le label Patrimoine du XXe siècle (Chambéry), signalant l’intérêt croissant porté aux édifices de Jean Dubuisson.